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NOTES DE CETTE ÉDITION.

UN ACTE INÉDIT
DE
MARIE TUDOR.


Entre les manuscrits laissés par Victor Hugo, le manuscrit de Marie Tudor est l’un des plus intéressants, l’un de ceux où l’on peut le mieux observer le travail et les tâtonnements de sa pensée. Pour ses autres drames, exécutés avec une si merveilleuse rapidité, Victor Hugo, quand il commençait à les écrire, avait son plan solidement construit, l’enchaînement de ses idées fixé, nombre de traits déjà trouvés, vers, phrases, mouvements et tournants de l’action, points lumineux lui éclairant tout son chemin. Il ne paraît pas que, pour Marie Tudor, cette préparation ait été si mûrie et cette mise en train si avancée. Dans les autres manuscrits, les changements à noter ne comportent guère que des corrections et des additions partielles qui ne modifient point la trame et le fond de l’ouvrage. Ici, en dehors du manuscrit conforme au texte imprimé, voilà que nous trouvons un acte, un premier acte tout entier, absolument différent de l’acte définitif. Cet acte, trop hâtivement commencé sans doute, Victor Hugo, quand il l’a eu écrit et terminé, a dû et a voulu, non seulement le remanier, mais le refaire. C’est, encore une fois, la première et la seule suppression totale, le premier et le seul recommencement complet, qui se rencontre dans toute son œuvre.

Essayons de rechercher quelles raisons ont déterminé cette refonte.

Victor Hugo commence cet acte de premier jet le 8 août 1833, il le finit le 10 août ; il a mis trois jours à l’écrire. Le 11, il le relit avant de se mettre à écrire le second acte ; il s’aperçoit alors qu’il est dans une fausse voie, et il s’arrête.

L’acte a de l’intérêt et de la vie sans doute et il abonde en détails et en mots bien venus ; mais l’exposition n’est pas faite, l’action n’est pas engagée, les personnages ne sont que juxtaposés, Gilbert ne connaît pas Fabiani, Fabiani ne connaît pas Jane ; Jane dit et répète à Gilbert qu’elle l’aime, elle sait tout ce qu’elle lui doit, et elle sera odieuse quand elle va le trahir pour l’aventurier ; l’aventurier, lui, n’est pas même encore l’amant de la reine ; enfin, Simon Renard raconte d’avance la pièce en annonçant qu’il va se servir de Jane pour perdre Fabiani. Voilà bien des défauts. Y a-t-il moyen de les corriger ? Non, l’acte est et restera toujours incomplet. Le plus court est d’en faire un autre.

C’est ici qu’il faut admirer la souplesse et la puissance du poète et quelle fertilité d’imagination il pouvait mettre au service de sa volonté. Dans cette seule journée du 11 août, où il n’écrira pas une ligne, il retourne et reprend de fond en comble ce