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qui applaudissaient le peuple, non à celles qui maudissaient le roi. Il fit son devoir. Il fit ce que tout homme de cœur eût fait à sa place. Il refusa d’autoriser la représentation de sa pièce. D’ailleurs les succès de scandale cherché et d’allusions politiques ne lui sourient guère, il l’avoue. Ces succès valent peu et durent peu. C’est Louis XIII qu’il avait voulu peindre dans sa bonne foi d’artiste, et non tel de ses descendants. Et puis c’est précisément quand il n’y a plus de censure qu’il faut que les auteurs se censurent eux-mêmes, honnêtement, consciencieusement, sévèrement. C’est ainsi qu’ils placeront haut la dignité de l’art. Quand on a toute liberté, il sied de garder toute mesure.

Aujourd’hui que trois cent soixante-cinq jours, c’est-à-dire, par le temps où nous vivons, trois cent soixante cinq événements, nous séparent du roi tombé ; aujourd’hui que le flot des indignations populaires a cessé de battre les dernières années croulantes de la restauration, comme la mer qui se retire d’une grève déserte ; aujourd’hui que Charles X est plus oublié que Louis XIII, l’auteur a donné sa pièce au public ; et le public l’a prise comme l’auteur la lui a donnée, naïvement, sans arrière-pensée, comme chose d’art, bonne ou mauvaise, mais voilà tout.

L’auteur s’en félicite et en félicite le public. C’est quelque chose, c’est beaucoup, c’est tout pour les hommes d’art, dans ce moment de préoccupations politiques, qu’une affaire littéraire soit prise littérairement.

Pour en finir sur cette pièce, l’auteur fera remarquer ici que, sous la branche aînée des Bourbons, elle eût été absolument et éternellement exclue du théâtre. Sans la révolution de juillet, elle n’eût jamais été jouée. Si cet ouvrage avait une plus haute valeur, on pourrait soumettre cette observation aux personnes qui affirment que la révolution de juillet a été nuisible à l’art. Il serait facile de démontrer que cette grande secousse d’affranchissement et d’émancipation n’a pas été nuisible à l’art, mais qu’elle lui a été utile ; qu’elle ne lui a pas été utile, mais qu’elle lui a été nécessaire. Et en effet, dans les dernières années de la restauration, l’esprit nouveau du dix-neuvième siècle avait pénétré tout, reformé tout, recommencé tout, histoire, poésie, philosophie, tout, excepté le théâtre. Et à ce phénomène, il y avait une raison bien simple : la censure murait le théâtre. Aucun moyen de traduire naïvement, grandement, loyalement sur la scène, avec l’impartialité, mais aussi avec la sévérité de l’artiste, un roi, un prêtre, un seigneur, le moyen-âge, l’histoire, le passé. La censure