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en tout quatre heures. Que ferait le drame romantique ? Il broierait et mêlerait artistement ces deux espèces de plaisir. Il ferait passer à chaque instant l’auditoire du sérieux au rire, des excitations bouffonnes aux émotions déchirantes, du grave au doux, du plaisant au sévère. Car, ainsi que nous l’avons déjà établi, le drame, c’est le grotesque avec le sublime, l’âme sous le corps, c’est une tragédie sous une comédie. Ne voit-on pas que, vous reposant ainsi d’une impression par une autre, aiguisant tour à tour le tragique sur le comique, le gai sur le terrible, s’associant même au besoin les fascinations de l’opéra, ces représentations, tout en n’offrant qu’une pièce, en vaudraient bien d’autres ? La scène romantique ferait un mets piquant, varié, savoureux, de ce qui sur le théâtre classique est une médecine divisée en deux pilules.

Voici que l’auteur de ce livre a bientôt épuisé ce qu’il avait à dire au lecteur. Il ignore comment la critique accueillera et ce drame, et ces idées sommaires, dégarnies de leurs corollaires, appauvries de leurs ramifications, ramassées en courant et dans la hâte d’en finir. Sans doute elles paraîtront aux « disciples de La Harpe » bien effrontées et bien étranges. Mais si, par aventure, toutes nues et tout amoindries qu’elles sont, elles pouvaient contribuer à mettre sur la route du vrai ce public dont l’éducation est déjà si avancée, et que tant de remarquables écrits, de critique ou d’application, livres ou journaux, ont déjà mûri pour l’art, qu’il suive cette impulsion sans s’occuper si elle lui vient d’un homme ignoré, d’une voix sans autorité, d’un ouvrage de peu de valeur. C’est une cloche de cuivre qui appelle les populations au vrai temple et au vrai Dieu.

Il y a aujourd’hui l’ancien régime littéraire comme l’ancien régime politique. Le dernier siècle pèse encore presque de tout point sur le nouveau. Il l’opprime notamment dans la critique. Vous trouvez, par exemple, des hommes vivants qui vous répètent cette définition du goût échappée à Voltaire : « Le goût n’est autre chose pour la poésie que ce qu’il est pour les ajustements des femmes. » Ainsi, le goût, c’est la coquetterie. Paroles remarquables qui peignent à merveille cette poésie fardée, mouchetée, poudrée, du dix-huitième siècle, cette littérature à paniers, à pompons et à falbalas. Elles offrent un admirable résumé d’une époque avec laquelle les plus hauts génies n’ont pu être en contact sans devenir petits, du moins par un côté, d’un temps où Montesquieu a pu et dû faire le Temple de Guide, Voltaire le Temple du Goût, Jean-Jacques le Devin du Village.

Le goût, c’est la raison du génie. Voilà ce qu’établira bientôt une