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Or Isboseth tomba, tel qu’un fruit avorté,
Tel qu’un bruit sans écho par le vent emporté.
Songe à Salmanasar. Sur ses coursiers rapides.
Ce roi, qu’environnaient les grands argyraspides,
Passa, comme l’été, sous la nue enchaîné,
Passe un éclair du soir, — sans même avoir tonné.
Songe à Sennachérib, qui venait d’Assyrie,
Traînant après sa tente une armée aguerries
Neuf cent mille soldats, si fiers, si furieux.
Que leur souffle eût poussé les nuages des cieux ;
D’impurs magiciens ; d’affreux onocentaures ;
Des arabes, heurtant les cymbales sonores ;
Des bœufs, des léopards accoutumés au frein ;
Des chariots de guerre armés de faulx d’airain ;
D’ardents chevaux, qu’avaient allaités des tigresses ;
Et six cents éléphants, mouvantes forteresses,
Qui, dans les légions déchaînant leurs pas lourds,
Sur leur dos monstrueux faisaient bondir des tours.
Ce n’était que chameaux, buffles, zèbres, molosses,
Mammons, d’un monde éteint prodigieux colosses ;
Rugissante mêlée, où se croisait encor
La roue aux dents d’acier des chars écaillés d’or.
La nuit, le camp semblait une plaine enflammée ;
Et quand se réveillait cette innombrable armée,
Le pêcheur, apprêtant sa barque de roseaux,
Croyait entendre au loin mugir les grandes eaux.
Tout jetait des éclairs autour du roi superbe ;
Ses cavales volaient et du pied broyaient l’herbe ;
Il passait, dominant de son front étoilé
Son char pyramidal, d’éléphants attelé ;
Et sur ses pas couraient drapeaux, flammes, bannières,
Pareils aux astres d’or qui traînent des crinières.
Mais le ciel eut pitié de vingt peuples tremblants.
Dieu souffla sur ces astre aux crins étincelants ;
Et soudain s’éteignit l’effrayante merveille,
Comme une lampe aux mains d’une veuve qui veille.
Te crois-tu donc plus grand, sycophante fatal,
Que ces grands rois, soleils du monde oriental ?
Peux-tu fondre à ton gré, comme l’aigle qui plane,
Sur Damas, Charcamis, Samarie, ou Calane ?
As-tu, comme le sable envahit le bazar,
Détruit Sochoth-Benoth et Theglath-Phalazar ?
Tes chevaux et tes chars, bruyante multitude,
Ont-ils du vieux Liban troublé la solitude ?