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scendre, « beaucoup au dessovbs de Claueret ! » Ici Scudéry s’indigne de tant d’orgueil et rappelle à « ce trois fois grand avthevr du Cid… les modestes paroles par où le Tasse, le plus grand homme de son siècle, a commencé l’apologie du plus beau de ses ouurages, contre la plus aigre et la plus iniuste Censure, qu’on fera peut-être iamais. M. Corneille, ajoute-t-il, tesmoigne bien en ses Responses qu’il est aussi loing de la modération que du mérite de cet excellent avthevr. » Le jeune homme si justement et si doucement censuré ose résister ; alors Scudéry revient à la charge ; il appelle à son secours l’Académie Éminente : « Prononcez, ô mes Ivges, un arrest digne de vous, et qui face sçavoir à toute l’Europe que le Cid n’est point le chef-d’œuure du plus grand homme de Frâce, mais ouy bien la moins iudicieuse pièce de M. Corneille mesme. Vous le deuez, et pour vostre gloire en particulier, et pour celle de nostre nation en général, qui s’y trouue intéressée : veu que les estrangers qui pourroient voir ce beau chef-d’œuure, eux qui ont eu des Tassos et des Guarinis, croyroient que nos plus grands maistres ne sont que des apprentifs. » Il y a dans ce peu de lignes instructives toute la tactique éternelle de la routine envieuse contre le talent naissant, celle qui se suit encore de nos jours, et qui a attaché, par exemple, une si curieuse page aux jeunes essais de lord Byron. Scudéry nous la donne en quintessence. Ainsi, les précédents ouvrages d’un homme de génie toujours préférés aux nouveaux, afin de prouver qu’il descend au lieu de monter, Mélite et la Galerie du Palais mis au-dessus du Cid ; puis les noms de ceux qui sont morts toujours jetés à la tête de ceux qui vivent : Corneille lapidé avec Tasso et Guarini (Guarini !), comme plus tard on lapidera Racine avec Corneille, Voltaire avec Racine, comme on lapide aujourd’hui tout ce qui s’élève avec Corneille, Racine et Voltaire. La tactique, comme on voit, est usée, mais il faut qu’elle soit bonne, puisqu’elle sert toujours. Cependant le pauvre diable de grand homme soufflait encore. C’est ici qu’il faut admirer comme Scudéry, le capitan de cette tragi-comédie, poussé à bout, le rudoie et le malmène, comme il démasque sans pitié son artillerie classique, comme il « fait voir » à l’auteur du Cid « quels doiuent estre les épisodes, d’après Aristote, qui l’enseigne aux chapitres dixiesme et seiziesme de sa Poétique », comme il foudroie Corneille, de par ce même Aristote « au chapitre vnziesme de son Art Poétique, dans lequel on voit la condamnation du Cid » ; de par Platon « liure dixiesme de sa République », de par Marcelin, « au liure vingt-septiesme ; on le peut voir » ; de par « les tragédies de Niobé et de Jephté » ; de par « l’Ajax de Sophocle » ; de par