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La grâce inamissible ; et de moi je suis maître.
Une fois fils du ciel, peut-on cesser de l’être ?
De nos prospérités l’univers est jaloux.
Que me faut-il de plus que le bonheur de tous ?
Je vous l’ai dit. Ce peuple est le peuple d’élite.
L’Europe de cette île est l’humble satellite.
Tout cède à notre étoile ; et l’impie est maudit.
Il semble, à voir cela, que le Seigneur ait dit :
— Angleterre ! grandis, et sois ma fille aînée.
Entre les nations mes mains t’ont couronnée ;
Sois donc ma bien-aimée, et marche à mes côtés. —
Il déroule sur nous d’abondantes bontés ;
Chaque jour qui finit, chaque jour qui commence,
Ajoute un anneau d’or à cette chaîne immense.
On croirait que ce Dieu, terrible aux philistins,
A comme un ouvrier composé nos destins ;
Que son bras, sur un axe indestructible aux âges,
De ce vaste édifice a scellé les rouages,
Œuvre mystérieuse, et dont ses longs efforts
Pour des siècles peut-être ont monté les ressorts.
Ainsi tout va. La roue, à la roue enchaînée,
Mord de sa dent de fer la machine entraînée ;
Les massifs balanciers, les antennes, les poids,
Labyrinthe vivant, se meuvent à la fois ;
L’effrayante machine accomplit sans relâche
Sa marche inexorable et sa puissante tâche ;
Et des peuples entiers, pris dans ses mille bras,
Disparaîtraient broyés, s’ils ne se rangeaient pas.
Et j’entraverais Dieu, dont la loi salutaire
Nous fait un sort à part dans le sort de la terre !
J’irais, du peuple élu foulant le droit ancien,
Mettre mon intérêt à la place du sien !

Pilote, j’ouvrirais la voile aux vents contraires !
Hochant la tête.
Non, je ne donne pas cette joie aux faux frères.

Le vieux navire anglais est toujours roi des flots.
Le colosse est debout. Que sont d’obscurs complots
Contre les hauts destins de la Grande-Bretagne ?

Qu’est-ce qu’un coup de pioche aux flancs d’une montagne ?
Promenant des yeux de lynx autour de lui.
Avis aux malveillants ! on sait tout ce qu’ils font.

Le flot est transparent, si l’abîme est profond.
On voit le fond du piège où rampe leur pensée.