Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome I.djvu/368

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Au chef d’atelier.
Monsieur Néhémias ! —
Le chef d’atelier s’approche de Barebone pendant que les ouvriers ramassent leurs outils et se chargent des lampes et des échelles.
Il faudrait sur-le-champ
Pour mylord Protecteur, à qui Dieu soit en aide,
Finir cette cuirasse en buffle de Tolède.
Bas et se penchant à l’oreille du chef d’atelier.
Du cuir qui restera, loin de tous les regards,
Vous ferez pour nos saints des gaines de poignards.
Le chef d’atelier incline la tête en signe d’adhésion, et sort accompagné de tous les ouvriers.
SCÈNE III.
BAREBONE, seul.
Il se place comme en contemplation devant le trône.
Le voilà donc, ce trône ! — exécrable édifice,

Où Cromwell à Nesroch nous offre en sacrifice,
Où se transforme en roi ce chef longtemps béni,
Où va changer de peau le serpent rajeuni !
C’est là qu’il compte enfin appuyer son empire.
Ce faux Zorobabel en qui Nemrod respire ;
Ce prêtre de l’enfer ; ce vil empoisonneur,
Qui, se prostituant l’église du Seigneur,
Veut, dans les noirs projets que son orgueil combine,
De l’épouse des saints faire sa concubine ;
Cet oppresseur du Dieu que son âme a trahi ;
Cet homme, pire enfin que Stharnabuzaï !
Voilà son trône impur que l’anathème charge !
C’est bien cela : — six pieds de haut sur neuf de large.
Et le tout recouvert de velours cramoisi. —
Il en faut dix ballots pour le draper ainsi. —
Donc il ne suffit pas à ce fils du blasphème
D’exercer un pouvoir usurpé sur Dieu même ;
De fouler Israël comme un roseau séché ;
D’avoir, géant glouton, sur l’Europe couché,
Plus qu’Adonibezec puissant et redoutable,
Soixante rois mangeant ses restes sous sa table !
Non, il lui faut un trône. Et quel trône ! un amas
De franges, de plumets, de satin, de damas,