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Cet infâme Cromwell… —
Examinant avec sa lanterne la main que Cromwell lui présente.
Quelle main ! — Je suis mort.
Il tombe prosterné aux pieds de Cromwell.

CROMWELL, souriant.
Hé ! juif, que fais-tu donc ? Çà, quel diable te mord ?
MANASSÉ, frappant la terre de son front.
Je suis mort.
CROMWELL.
Tu sais donc qui je suis, juif immonde ?

MANASSÉ, d’une voix éteinte.
Ah ! c’est bien cette main, large à porter le monde !

Je les reconnais trop, ces lignes où le ciel
N’inscrivit d’autre nom que le nom de Cromwell.
Votre astre n’avait point menti.

CROMWELL.
Vieillard, écoute.
Tu n’es qu’un misérable ; et je pourrais sans doute
À mon tour, essayant sur toi ce fer poli,
Il lui présente son poignard.
Faire une expérience in anima vili. —

Mais je n’écrase pas moi-même un ver de terre.

Lève-toi !
Manassé se lève. Cromwell lui montre un banc de pierre près de la porte.
Sieds-toi là.
Le juif s’assied comme atterré dans le coin obscur du banc.
Surtout songe à te taire.
Un seul mot, et ton âme ira loin de ton corps
Compléter à loisir ton alphabet des morts !
Le juif laisse tomber sa tête sur sa poitrine. Cromwell revient sur le devant du théâtre
et continue en le regardant de travers.
Ce juif, servir Ormond ! Le sort qui me l’envoie
Mêle un oiseau de nuit à ces oiseaux de proie !
Il se promène, laissant échapper de temps en temps quelques paroles.
Mes seuls crimes sont donc, à les en écouter,

De saluer trop mal et de trop bien compter.