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Je regarde : — c’était une tête coupée ! —
De blafardes lueurs dans l’ombre enveloppée,
Livide, elle portait sur son front pâlissant
Une auréole... — oui, de la couleur du sang.
Il s’y mêlait encore un reste de couronne.
Immobile, — vieillard, regarde, j’en frissonne ! —
Elle me contemplait avec un ris cruel,
Et murmurait tout bas : Honneur au roi Cromwell !
Je fais un pas. Tout fait ! — sans laisser de vestige
Que mon cœur, à jamais glacé par ce prodige !
Honneur au roi Cromwell ! — Manassé, tu comprends ?
Qu’en dis-tu ? — Cette nuit, ces feux dans l’ombre errants,
Une tête hideuse, un lambeau de fantôme,
Dans un rire sanglant promettant un royaume…
Ah ! c’est vraiment horrible ! est-ce pas, Manassé ?
Cette tête !... — Depuis, un jour terne et glacé,
Un jour d’hiver, au sein d’une foule inquiète.
Je l’ai revue encor, — mais elle était muette.
Écoute, — elle pendait à la main du bourreau !

MANASSÉ, rêveur.
Vraiment ? — Ézéchiel, le gendre de Jéthro,

Eurent des visions, mon fils, moins redoutables.
Celle de Balthazar, dans l’ivresse des tables,
Ne l’égale pas même ; et le Toldos Jeschut
N’en dit pas qui ressemble à celle qui t’échut.
D’un roi vivant encor voir la tête apparaître ;
C’est étrange !

CROMWELL.
Il n’est rien de plus affreux !

MANASSÉ, réfléchissant.
Peut-être…
— Non. Les spectres dont j’ai gardé le souvenir

Se vengeaient du passé ; le tien de l’avenir. —
Tu ne dormais point ?

CROMWELL.
Non.

MANASSÉ.
Vision sans pareille !
Car, si tu ne l’avais eue en état de veille,