Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome I.djvu/294

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Haut à Manassé avec violence.
Dis-moi si ma planète est propice à mes vœux,

Obéis.

MANASSÉ.
Je ne puis.

CROMWELL.
Je le veux.

MANASSÉ.
Tu le veux !

CROMWELL, mettant la main sur son poignard.
S’il ne te fait parler, ce fer te fera taire.
MANASSÉ, après une hésitation.
Ne pâliras-tu point si, durant le mystère,

Je mêle au ciel l’enfer, le talmud au coran ?

CROMWELL.
Non.
MANASSÉ.
L’esprit cède au glaive, et le mage au tyran.
— Parle, mon fils.
CROMWELL.
Révèle à mon âme étonnée
Le secret de ma vie et de ma destinée.

Écoute. — Étant enfant, j’eus une vision.
J’avais été chassé, pour basse extraction,
De ces nobles gazons que tout Oxford renomme,
Et qu’on ne peut fouler sans être gentilhomme.
Rentré dans ma cellule, en mon cœur indigné,
Je pleurais, maudissant le rang où j’étais né.
La nuit vint ; je veillais assis près de ma couche.
Soudain ma chair se glace au souffle d’une bouche,
Et j’entends près de moi, dans un trouble mortel,
Une voix qui disait : Honneur au roi Cromwell !
Elle avait à la fois, cette voix presque éteinte,
L’accent de la menace et l’accent de la plainte.
Dans les ténèbres, pâle, et de terreur saisi,
Je me lève, cherchant qui me parlait ainsi.