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Ou pénétrer, d’ici, l’intérieur des tombes ?
Qui sait ? — Faut-il nier tout ce qu’on ne voit pas ?
Tout lien est-il donc rompu par le trépas ?
N’a-t-on pas vu d’ailleurs des choses effrayantes ? —
Mais l’homme, ouvrir du ciel les pages flamboyantes !
Qui sait ce que Dieu met dans l’âme en la créant ? —
Mais quoi ! cet homme impur, ce juif, ce mécréant.
Dans son sens symbolique interpréter le monde !
Fouiller le saint des saints de son regard immonde ! —
Pourquoi pas ? Que sait-on ? Tout est mystérieux.
Raison de plus, peut-être ! — À mon œil curieux
S’il pouvait de mon astre expliquer le langage ?
Me dire où finira la lutte que j’engage ?

Allons ! nous sommes seuls, sans témoins. — Essayons.
Haut à Manassé.
Juif !
MANASSÉ, qui n’a cessé d’attacher les yeux au ciel, se retourne et s’incline.
Seigneur ?

CROMWELL.
S’il est vrai que ces divins rayons
Illuminent ton âme à leur clarté mystique,
Et prêtent à tes yeux un éclair prophétique…
Il s’arrête et paraît hésiter un moment.

MANASSÉ, se prosternant.
Que demandez-vous, maître, à votre serviteur ?
CROMWELL, baissant la voix.
L’avenir.
MANASSÉ, se relevant et se redressant.
Quoi ? comment ? jusqu’à cette hauteur
Tu lèves tes regards, incirconcis ! Ton âme

Verrait à nu, malgré les barrières de flamme,
Ces astres, sable d’or, poudre de diamants,
Qu’en leur gouffre sans fond roulent les firmaments !
Tu voudrais pénétrer ce ciel, palais de gloire,
Ténébreux sanctuaire, ardent laboratoire,
Où veille Jéhovah, qui ne dessaisit pas
L’immuable pivot et l’éternel compas !
Percer les trois milieux, la flamme, l’éther, l’onde.