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Le but de ses combats, le but de ses prières.
De ses pieux travaux, de ses veilles guerrières.
De son sang répandu, de tant de pleurs versée.
De tous ses maux, c’est moi ! — Je règne, c’est assez.
Il doit se croire heureux, puisqu’après tant de peines,
Il a changé de roi, — renouvelé ses chaînes. —
Rien qu’à ce seul penser mon front chauve rougit.
— Écoute-moi, Cromwell ! c’est de toi qu’il s’agit. —
Donc, tous les grands moteurs de nos guerres civiles,
Vane, Pym, qui d’un mot faisait marcher des villes.
Ton gendre Ireton, oui, ce martyr de nos droits.
Que ton orgueil exile au sépulcre des rois,
Sidney, Hollis, Martyn, Bradshaw, ce juge austère
Qui lut l’arrêt de mort à Charles d’Angleterre,
Et ce Hampden, si jeune au tombeau descendu.
Travaillaient pour Cromwell, dans leur foule perdu!
C’est toi qui des deux camps règles les funérailles.
Et dépouilles les morts sur le champ de batailles !
Ainsi, depuis quinze ans, pour toi seul révolté,
Le peuple à ton profit joue à la liberté !
Dans ses grands intérêts tu n’as vu qu’une affaire,
Et dans la mort du roi qu’un héritage à faire ! —
Ce n’est pas que je veuille ici te rabaisser.
Non. — Nul autre que toi n’aurait pu t’éclipser.
Puissant par la pensée et puissant par le glaive,
Tu fus si grand, qu’en toi j’ai cru trouver mon rêve.
Mon héros ! Je t’aimais entre tout Israël,
Et nul ne te plaçait plus avant dans le ciel ! —
Et pour un titre, un mot vide autant que sonore.
L’apôtre, le héros, le saint se déshonore !
Dans ses desseins profonds voilà ce qu’il cherchait,
La pourpre, haillon vil ! le sceptre, vain hochet !
Au sommet de l’état jeté par la tempête,
Ivre de ton destin, tu veux parer ta tête
De cet éclat des rois, pour nous évanoui ?
Tremble : on est aveuglé, quand on est ébloui.
Olivier, de Cromwell je te demande compte,
Et de ta gloire, enfin, qui devient notre honte ! —
Ô vieillard, qu’as-tu fait de ta jeune vertu ?
Tu te dis : Il est doux, quand on a combattu.
De s’endormir au trône, environné d’hommages ;
D’être roi ; de peupler cent lieux de ses images.
On a son grand lever ; on va dans un beau char
Trôner à Westminster, prier à Temple-Bar ;