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NOTES DE L’ÉDITEUR.

combinaison de vente dans une longue lettre dont nous reproduisons ce fragment :

Voilà en quoi elle consiste. L’Homme qui Rit coté à 7 fr. 50 le volume, 30 francs pour les quatre volumes, ne pourra pour tout ce premier tirage, de 10,000 à 15,000 exemplaires, être vendu séparément. Il sera donné pour rien, en primeur et en prime, à tout acheteur qui prendra ou s’engagera à prendre pour 100 francs de livres, au prix fort, dans le catalogue Lacroix, soit : Victor Hugo, Lamartine, Michelet, Quinet, Pelletan, Jules Simon, etc. On devra payer les 100 francs comptant. On pourra aussi ne payer rien d’avance, mais alors on souscrira quatre billets à 3, 6, 9 mois et un an, de 28 fr. 50, soit 114 francs. Pas d’exception pour les libraires. La combinaison a pour base un marché passé par Lacroix avec M. Panis, libraire (le fils de Panis, l’ancien fermier d’annonces), lequel sera vendeur en nom de l’Homme qui Rit et directeur de la combinaison. Lacroix lui a cédé et vendu tout le premier tirage, 10, ou 15,000, avec monopole exclusif, pendant vingt-cinq jours pleins. Toutefois si, au bout de quinze jours, la combinaison n’a pas atteint un minimum stipulé de vente, 5,000 je crois, Lacroix et Panis pourront écouler le reste de ce premier tirage par le procédé ordinaire de la vente séparée.

Pour une telle combinaison Lacroix promettait 6,000 francs d’affiches et 80,000 francs d’annonces répétées. Victor Hugo répondit aussitôt à Vacquerie et en même temps à Meurice qu’il protestait contre cette combinaison qui était un danger matériel et une blessure morale pour le livre.

Munis de leurs lettres, Paul Meurice et Vacquerie se rendirent chez Lacroix le Ier avril, lui disant qu’il n’avait pas le droit de ne laisser lire Victor Hugo que sous peine de cent quatorze francs d’amende, et que, si on lui faisait un procès, il n’aurait pour lui aucun juge, même bonapartiste. Mais Lacroix s’obstinait, déclarant sa combinaison merveilleuse, affirmant une vente de vingt-cinq mille ; et, en présence de cette résistance, Paul Meurice et Vacquerie n’hésitèrent pas à conseiller à Victor Hugo de protester publiquement ; Vacquerie lui écrivait :

Au moins, que le mécontentement du public retombe tout entier sur le coupable. Pensez que ce Lacroix a dans les mains, non seulement un chef-d’œuvre, mais un succès certain, et qu’il lui inflige le supplice d’Hardquanonne ! Il écrase la poitrine de L’Homme qui Rit de tout son fonds de librairie.

Et Paul Meurice, malgré sa foi dans le succès certain, ajoutait : « Ce qui ne veut pas dire que l’expérience Lacroix in anima nobile ne gênera pas ce succès » ; il se prononçait pour une protestation directe et fière ; et préoccupé de l’effet de cette combinaison aristocratique, qui restreignait la publicité du livre, Paul Meurice traitait avec Lacroix pour le droit de reproduction de l’Homme qui Rit en feuilleton dans le Rappel, l’ancien Événement, qui devait revivre sous ce titre le Ier mai, ayant pour fondateurs Paul Meurice, Vicquerie, Rochefort et les fils de Victor Hugo. Lacroix avait imposé des conditions très dures au journal, mais, disait Paul Meurice à Victor Hugo ; « la publication de l’Homme qui Rit dans le Rappel corrigera dans une certaine mesure par l’élargissement du public l’étroitesse de la combinaison Lacroix ».

Le 29 mars, Victor Hugo, partageant le sentiment de ses amis, répondait à Paul Meurice :

Soyez assez bon pour dire à M. Lacroix qu’il s’expose de ma part à un procès peut-être et à coup sûr à une protestation. Il a trouvé là un admirable moyen de me mettre à dos le public et la presse et de centupler le nombre de mes ennemis.

Le 4 avril, Victor Hugo envoyait à Paul Meurice la lettre suivante destinée à Lacroix :

Hauteville-House, 4 avril 1869.
Monsieur,

Moyennant la somme de quarante mille