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NOTES DE L’ÉDITEUR

et des idées de l’aristocratie. Son dossier n’était pas encore complet à la fin de mai 1866.

Mais on était au mois de juin, et le plus souvent, vers cette époque, parfois plus tard, Victor Hugo devait se préparer à partir, tantôt pour entreprendre quelque voyage de distraction et de repos, tantôt pour aller retrouver à Bruxelles sa famille qui le réclamait à grands cris. À partir de 1864, Mme Victor Hugo et ses fils passaient une partie de l’année à Bruxelles, devenu centre intermédiaire entre Paris et Guernesey ; les affaires de librairie y étaient traitées sur place par Charles et François-Victor, et la santé déjà chancelante de Mme Victor Hugo y trouvait son profit. Il s’embarquait donc le 20 juin sur la Normandie, et le 22 il arrivait à Bruxelles.

Victor Hugo avait emporté ses documents ; à peine installé, ce furent de nouvelles recherches, de nouvelles études et, par suite, de nouvelles notes, mais cette fois sur la Chambre des lords, si bien que cette Chambre des lords n’avait plus de mystères pour lui ; il la suivait année par année, depuis 1641 jusqu’en 1777 ; il avait, sur des feuilles séparées, fait de longues listes : noms des ducs, des marquis, des comtes, des vicomtes, des barons, des archevêques et des évêques ; il n’ignorait aucun des détails du cérémonial et de la procédure, qu’il s’agit de débats politiques ou d’un procès. Il connaissait les dispositions exactes de la salle des séances ; il en dressa même des plans (l’un d’eux est reproduit à la fin de ce volume), avec les places du roi, du chancelier, des lords, des huissiers : il n’omit pas les sacs de laine. Ces plans étaient tracés sur une lettre, en date du 6 juillet 1866, que lui adressait Armand Silvestre en lui envoyant son volume : Rimes neuves et vieilles, s’excusant, en raison de ses « pauvres vers », de n’avoir pas osé mentionner le nom de Victor Hugo dans le volume.

Ces plans étaient environnés de notes pressées et en tous sens, d’une écriture menue, sur la salle, les costumes, la marche des débats et le vote. Ce qui lui permettra plus tard de décrire cette étonnante séance de la Chambre des lords à laquelle il donnera la vie et le mouvement d’une façon si saisissante qu’elle aura toute l’apparence d’une « chose vue ».

Le mécanisme de la Chambre des communes lui était tout aussi familier que celui de la Chambre des lords. Il était armé. Il pouvait travailler.

Le 21 juillet, il commençait donc à Bruxelles son roman de l’Homme qui Rit, et, le 29 septembre, nous trouvons cette indication dans ses carnets : « J’ai lu en famille le commencement de mon nouveau roman : Lord Clancharlie. » C’était un projet de titre qui deviendra le titre d’un livre. Il avait achevé les deux premiers chapitres du livre troisième : L’enfant dans l’ombre, lorsqu’il partit de Bruxelles le 7 octobre pour être de retour le 9 à Guernesey.

Victor Hugo avait alors pour éditeur — et depuis 1862 — Albert Lacroix, un belge, petit homme fluet, très remuant, très épris de littérature et aussi très lettré, plein d’une verve endiablée, la physionomie très éveillée, avec des yeux malicieux, embusqués derrière un binocle qu’il assujettissait sans cesse sur un nez un peu bombé et effilé, la figure tout embroussaillée de favoris roux. Lacroix avait conquis Victor Hugo autant par son entrain, sa fougue, son enthousiasme de commerçant que par ses connaissances littéraires très réelles et son admiration pour Shakespeare. Il y avait bien un autre éditeur, l’éditeur des premières heures de l’exil, aux jours de lutte et de danger, celui-là aussi un lettré et de plus un ami, ami fanatique, dévoué, capable de tous les sacrifices pour servir son dieu. C’était Hetzel. Mais il s’était tenu à l’écart, un peu at-