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ISOLEMENT.

Cette troupe bariolée semblait être une compagnie de camarades, peut-être un tas de complices.

S’il y eût eu un peu plus de jour, et si l’on eût regardé un peu curieusement, on eût aperçu sur ces gens des chapelets et des scapulaires dissimulés à demi sous les guenilles. Un des à peu près de femme mêlés au groupe avait un rosaire presque pareil pour la grosseur des grains à un rosaire de derviche, et facile à reconnaître pour un rosaire irlandais de Llanymthefry, qu’on appelle aussi Llanandiffry.

On eût également pu remarquer, s’il y avait eu moins d’obscurité, une Nuestra-Señora, avec le niño, sculptée et dorée à l’avant de l’ourque. C’était probablement la Notre-Dame basque, sorte de panagia des vieux cantabres. Sous cette figure, tenant lieu de poupée de proue, il y avait une cage à feu, point allumée en ce moment, excès de précaution qui indiquait un extrême souci de se cacher. Cette cage à feu était évidemment à deux fins ; quand on l’allumait, elle brûlait pour la vierge et éclairait la mer, fanal faisant fonction de cierge.

Le taille-mer, long, courbe et aigu sous le beaupré, sortait de l’avant comme une corne de croissant. A la naissance du taille-mer, aux pieds de la vierge, était agenouillé un ange adossé à l’étrave, ailes ployées, et regardant l’horizon avec une lunette. — L’ange était doré comme la Notre-Dame.

Il y avait dans le taille-mer des jours et des claires-voies pour laisser passer les lames, occasion de dorures et d’arabesques.

Sous la Notre-Dame, était écrit en majuscules dorées le mot Matutina, nom du navire, illisible en ce moment à cause de l’obscurité.

Au pied de la falaise était déposé, en désordre et dans le pêle-mêle du départ, le chargement que ces voyageurs emportaient et qui, grâce à la planche servant de pont, passait rapidement du rivage dans la barque. Des sacs de biscuits, une caque de stock-fish, une boîte de portative soup, trois barils, un d’eau douce, un de malt, un de goudron, quatre ou cinq bouteilles d’ale, un vieux portemanteau bouclé dans des courroies, des malles, des coffres, une balle d’étoupes pour torches et signaux, tel était ce chargement. Ces déguenillés avaient des valises, ce qui semblait indiquer une existence nomade ; les gueux ambulants sont forcés de posséder quelque chose ; ils voudraient bien parfois s’envoler comme des oiseaux, mais ils ne peuvent, à moins d’abandonner leur gagne-pain. Ils ont nécessairement des caisses d’outils et des instruments de travail, quelle que soit leur profession errante. Ceux-ci traînaient ce bagage, embarras dans plus d’une occasion.

Il n’avait pas dû être aisé d’apporter ce déménagement au bas de cette falaise. Ceci du reste révélait une intention de départ définitif.

On ne perdait pas le temps ; c’était un passage continuel du rivage à la