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FRAGMENTS.

(L’ÎLE RAGHLES[1].)

L’Irlande, qui pourrait s’appeler « un lac par jour » puisqu’elle a trois cent soixante-cinq lacs, possède, dans le nombre, plusieurs lacs singuliers. Le lac Cone est salé ; le lac Leaugh change le bois en pierre ; le lac Earne est couvert d’îles ; le lac Foyle n’en a pas une ; le lac Bala-mac-Andan a des îles flottantes ; les lacs des monts Slew-boemy ne portent d’autres barques que les troncs d’arbre creusés appelés par les irlandais Cots, et les bateaux de cuir appelés Carrughs; le lac Leane, en Glencarta, communique souterrainement, dit-on, avec ces mines où l’on trouve de l’argent brut, dont le comte de Thomond fit couvrir sa maison, prenant cet argent pour du plomb ; les lacs des Douze-Montagnes, en irlandais Pbelem-ghe-madone, nourrissent des forêts dont le bois chasse les araignées et a servi à construire la voûte à fenestrages de la grande salle de Westminster ; la pêche de l’or est possible dans le lac Sillon, du comte de Cavon ; dans le comté de Roscomoren qui, géométralement, a la forme d’une hache, il y a le lac Ree ; l’eau du lac Ree désaltère les hommes et tue les bêtes ; le berger y boit, le troupeau non ; c’est près du lac Crogher qu’était l’idole Keancroity, laquelle parlait à travers une pierre dorée ; c’est d’un des lacs des monts Curlew qu’on a tiré une autre pierre, la liafail, à laquelle est attaché l’empire des bretons et qui, enfermée dans la chaise de bois d’Édouard le Confesseur, sert aujourd’hui au couronnement des rois d’Angleterre ; cette pierre a pour fonction de gémir quand le roi s’y assied. Pierre ressemblante au peuple. C’est au bord du lac Swilly qu’on élisait les rois d’Ulster par l’incroyable cérémonie de la jument ; c’est d’un lac près de Carrickfergus qu’est sortie la voix qui conseilla à Melachlin, roi de Meath, de tuer Turges, lord de Norvège, au temps où les rois d’Irlande habitaient dans des palais d’osier ; l’étroit lac Leslip a vu toute nue la vesta du catholicisme, sainte Brigitte, dont le miraculeux feu sans fin a brûlé pendant mille ans à Kiliare, et consumé plus d’arbres qu’il n’en faut pour une forêt sans jamais grossir son tas de cendre ; on trouve dans un lac du pays d’Offal une ardoise excellente en médecine qui empêche le sang de se cailler dans le corps après une chute ; un lac du pays de Lease, que Marie Tudor nomma Queen’s County, blanchit immédiatement la barbe et les cheveux de ceux qui s’y lavent ; le petit lac Hamnel, entre Molinghar et Kilbegan, fait tomber la pluie du ciel quand on le regarde et surtout quand on s’y baigne, et il faut pour l’apaiser qu’un prêtre vierge lui chante une messe, et lui jette de l’eau bénite et du lait de vache.

Celui de tous ces lacs qui éveille l’intérêt le plus saisissant, car la curiosité est parfois poignante, c’est le petit lac Derg ou Dirg, jadis Liffer, situé à six milles anglais et à cinq milles irlandais de Dungall. Au milieu de ce lac il y a une île, et

  1. Est in boreali Ultoniæ parte, gens quxdam, quæ barbaro nimis et abominabili ritu, sibi regem creare solet. Collecto in unum universo terræ illius populo, in medio producitur jumentum candidum, ad quod sublimandus ille, non in Principem, sed in Belluam, non in Regem, sed in Exlegem, coram omnibus bestialiter accedens, non minus impudenter quam imprudenter, se quoque bestiam profitetur.