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L'HOMME QUI RIT

place publique des phénomènes, pour les palais des bouffons, espèces d’augmentatifs du courtisan, et pour les sultans et papes des eunuques. Elle abondait en variantes. Un de ces triomphes, c’était de faire un coq pour le roi d’Angleterre.

Il était d’usage que, dans le palais du roi d’Angleterre, il y eût une sorte d’homme nocturne, chantant comme le coq. Ce veilleur, debout pendant qu’on dormait, rôdait dans le palais, et poussait d’heure en heure ce cri de basse-cour, répété autant de fois qu’il le fallait pour suppléer à une cloche. Cet homme, promu coq, avait subi pour cela en son enfance une opération dans le pharynx, laquelle fait partie de l’art décrit par le docteur Conquest. Sous Charles II, une salivation inhérente à l’opération ayant dégoûté la duchesse de Portsmouth, on conserva la fonction, afin de ne point amoindrir l’éclat de la couronne, mais on fit pousser le cri du coq par un homme non mutilé. On choisissait d’ordinaire pour cet emploi honorable un ancien officier. Sous Jacques II, ce fonctionnaire se nommait William Sampson Coq, et recevait annuellement pour son chant neuf livres deux shellings six sous[1].

Il y a cent ans à peine, à Pétersbourg, les mémoires de Catherine II le racontent, quand le czar ou la czarine étaient mécontents d’un prince russe, on faisait accroupir le prince dans la grande antichambre du palais, et il restait dans cette posture un nombre de jours déterminé, miaulant, par ordre, comme un chat, ou gloussant comme une poule qui couve, et becquetant à terre sa nourriture.

Ces modes sont passées ; moins qu’on ne croit pourtant. Aujourd’hui, les courtisans gloussant pour plaire modifient un peu l’intonation. Plus d’un ramasse à terre, nous ne disons pas dans la boue, ce qu’il mange.

Il est très heureux que les rois ne puissent pas se tromper. De cette façon leurs contradictions n’embarrassent jamais. En approuvant sans cesse, on est sûr d’avoir toujours raison, ce qui est agréable. Louis XIV n’eût aimé voir à Versailles ni un officier faisant le coq, ni un prince faisant le dindon. Ce qui rehaussait la dignité royale et impériale en Angleterre et en Russie eût semblé à Louis le Grand incompatible avec la couronne de saint Louis. On sait son mécontentement quand Madame Henriette une nuit s’oublia jusqu’à voir en songe une poule, grave inconvenance en effet dans une personne de la cour. Quand on est de la grande, on ne doit point rêver de la basse. Bossuet, on s’en souvient, partagea le scandale de Louis XIV.

  1. Voir le docteur Chamberlayne, État présent de l'Angleterre, 1688, Ie partie, chap. xiii, p. 179.