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L'HOMME QUI RIT

tant sa faction avait été longue. De temps en temps il tournait le cou et regardait l’affreux guichet bas où était entré Gwynplaine. Il avait l’œil vitreux et stupide. Il arriva au bout de la ruelle, prit une autre rue, puis une autre, retrouvant vaguement l’itinéraire par où il avait passé quelques heures auparavant. Par intervalles il se retournait, comme s’il pouvait encore voir la porte de la prison, quoiqu’il ne fût plus dans la rue où était la geôle. Peu à peu il se rapprochait du Tarrinzeau-field. Les lanes qui avoisinaient le champ de foire étaient des sentiers déserts entre des clôtures de jardins. Il marchait courbé le long des haies et des fossés. Tout à coup il fit halte, et se redressa, et il cria : — Tant mieux !

En même temps il se donna deux coups de poing sur la tête, puis deux coups de poing sur les cuisses, ce qui indique l’homme qui juge les choses comme il faut les juger.

Et il se mit à grommeler entre cuir et chair, par moments avec des éclats de voix :

— C’est bien fait ! Ah ! le gueux ! le brigand ! le chenapan ! le vaurien ! le séditieux ! Ce sont ses propos sur le gouvernement qui l’ont mené là. C’est un rebelle. J’avais chez moi un rebelle. J’en suis délivré. J’ai de la chance. Il nous compromettait. Fourré au bagne ! Ah ! tant mieux ! Excellence des lois. Ah ! l’ingrat ! moi qui l’avais élevé ! Donnez-vous donc de la peine ! Quel besoin avait-il de parler et de raisonner ? Il s’est mêlé des questions d’état ! Je vous demande un peu ! En maniant des sous, il a déblatéré sur l’impôt, sur les pauvres, sur le peuple, sur ce qui ne le regardait pas ! il s’est permis des réflexions sur les pence ! il a commenté méchamment et malicieusement le cuivre de la monnaie du royaume ! il a insulté les liards de sa majesté ! un farthing, c’est la même chose que la reine ! l’effigie sacrée, morbleu, l’effigie sacrée. A-t-on une reine, oui ou non ? respect à son vert-de-gris. Tout se tient dans le gouvernement. Il faut connaître cela. J’ai vécu, moi. Je sais les choses. On me dira : Mais vous renoncez donc à la politique ? La politique, mes amis, je m’en soucie autant que du poil bourru d’un âne. J’ai reçu un jour un coup de canne d’un baronnet. Je me suis dit : Cela suffit, je comprends la politique. Le peuple n’a qu’un liard, il le donne, la reine le prend, le peuple remercie. Rien de plus simple. Le reste regarde les lords. Leurs seigneuries les lords spirituels et temporels. Ah ! Gwynplaine est sous clef ! Ah ! il est aux galères ! c’est juste. C’est équitable, excellent, mérité et légitime. C’est sa faute. Bavarder est défendu. Es-tu un lord, imbécile ? Le wapentake l’a saisi, le justicier-quorum l’a emmené, le shériff le tient. Il doit être en ce moment-ci épluché par quelque sergent de la coiffe. Comme ça vous plume les crimes, ces habiles gens-là ! Coffré, mon drôle ! Tant pis pour lui, tant mieux pour moi ! Je suis, ma foi, bien content. J’avoue ingé-