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CE QUI ERRE NE SE TROMPE PAS.

connus exacts. On leva, dans les greffes locaux, à Vevey, à Lausanne, l’acte de mariage de lord Linnœus en exil, l’acte de naissance de l’enfant, les actes de décès du père et de la mère, et l’on en eut « pour servir ce que de besoin » de doubles expéditions, dûment certifiées. Tout cela s’exécuta dans le plus sévère secret, avec ce qu’on appelait alors la promptitude royale, et avec le « silence de taupe » recommandé et pratiqué par Bacon, et plus tard érigé en loi par Blackstone, pour les affaires de chancellerie et d’état, et pour les choses qualifiées sénatoriales.

Le jußu regis et la signature Jeffrys furent vérifiés. Pour qui a étudié pathologiquement les cas de caprice dits « bon plaisir », ce jußu regis, est tout simple. Pourquoi Jacques II, qui, ce semble, eût dû cacher de tels actes, en laissait-il, au risque même de compromettre la réussite, des traces écrites ? Cynisme. Indifférence hautaine. Ah ! vous croyez qu’il n’y a que les filles d’impudiques ! la raison d’état l’est aussi. Et se cupit ante videri. Commettre un crime et s’en blasonner, c’est là toute l’histoire. Le roi se tatoue, comme le forçat. On a intérêt à échapper au gendarme et à l’histoire, on en serait bien fâché, on tient à être connu et reconnu. Voyez mon bras, remarquez ce dessin, un temple de l’amour et un cœur enflammé percé d’une flèche, c’est moi qui suis Lacenaire. Jußu regis. C’est moi qui suis Jacques II. On accomplit une mauvaise action, on met sa marque dessus. Se compléter par l’effronterie, se dénoncer soi-même, faire imperdable son méfait, c’est la bravade insolente du malfaiteur. Christine saisit Monaldeschi, le fait confesser et assassiner, et dit : Je suis reine de Suède chez le roi de France. Il y a le tyran qui se cache, comme Tibère, et le tyran qui se vante, comme Philippe II. L’un est plus scorpion, l’autre est plus léopard. Jacques II était de cette dernière variété. Il avait, on le sait, le visage ouvert et gai, différent en cela de Philippe II. Philippe était lugubre, Jacques était jovial. On est tout de même féroce. Jacques II était le tigre bonasse. Il avait, comme Philippe II, la tranquillité de ses forfaits. Il était monstre par la grâce de Dieu. Donc il n’avait rien à dissimuler et à atténuer, et ses assassinats étaient de droit divin. Il eût volontiers, lui aussi, laissé derrière lui ses archives de Simancas, avec tous ses attentats numérotés, datés, classés, étiquetés et mis en ordre, chacun dans son compartiment, comme les poisons dans l’officine d’un pharmacien. Signer ses crimes, c’est royal.

Toute action commise est une traite tirée sur le grand payeur ignoré. Celle-ci venait d’arriver à échéance avec l’endos sinistre Jußu regis.

La reine Anne, point femme d’un côté, en ce qu’elle excellait à garder un secret, avait demandé, sur cette grave affaire, au lord-chancelier un rapport confidentiel du genre qualifié « rapport à l’oreille royale ». Les rapports de cette sorte ont toujours été usités dans les monarchies. À Vienne, il y