Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VIII.djvu/347

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

IV

ursus espionne la police.

Ainsi que nous l’avons dit, selon les très rigides lois de la police d’alors, la sommation de suivre le wapentake, adressée à un individu, impliquait pour toute autre personne présente le commandement de ne point bouger.

Quelques curieux pourtant s’obstinèrent, et accompagnèrent de loin le cortège qui emmenait Gwynplaine.

Ursus fut du nombre.

Ursus avait été pétrifié autant qu’on a le droit de l’être. Mais Ursus, tant de fois assailli par les surprises de la vie errante et par les méchancetés de l’inattendu, avait, comme un navire de guerre, son branle-bas de combat qui appelle au poste de bataille tout l’équipage, c’est-à-dire toute l’intelligence.

Il se dépêcha de n’être plus pétrifié, et se mit à réfléchir. Il ne s’agit pas d’être ému, il s’agit de faire face.

Faire face à l’incident, c’est le devoir de quiconque n’est pas imbécile.

Ne pas chercher à comprendre, mais agir. Tout de suite. Ursus s’interrogea.

Qu’y avait-il à faire ?

Gwynplaine parti, Ursus se trouvait placé entre deux craintes : la crainte pour Gwynplaine, qui lui disait de suivre ; la crainte pour lui-même, qui lui disait de rester.

Ursus avait l’intrépidité d’une mouche et l’impassibilité d’une sensitive. Son tremblement fut indescriptible. Pourtant il prit héroïquement son parti, et se décida à braver la loi et à suivre le wapentake, tant il était inquiet de ce qui pouvait arriver à Gwynplaine.

Il fallait qu’il eût bien peur pour avoir tant de courage.

À quels actes de vaillance l’épouvante peut pousser un lièvre !

Le chamois éperdu saute les précipices. Être effrayé jusqu’à l’imprudence, c’est une des formes de l’effroi.

Gwynplaine avait été enlevé plutôt qu’arrêté. L’opération de police s’était exécutée si rapidement que le champ de foire, d’ailleurs peu fréquenté à cette heure matinale, avait été à peine ému. Presque personne ne se doutait dans les baraques du Tarrinzeau-field que le wapentake était venu chercher l’Homme qui Rit. De là le peu de foule.