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L'HOMME QUI RIT

IX

abyssus abyssum vocat.

Une autre figure disparue, ce fut Tom-Jim-Jack. Brusquement il cessa de venir dans l’inn Tadcaster.

Les personnes situées de façon à voir les deux versants de la vie élégante des grands seigneurs de Londres purent noter peut-être qu’à la même époque la Gazette de la Semaine, entre deux extraits de registres de paroisses, annonça le « départ de lord David Dirry-Moir, sur l’ordre de sa majesté d’aller reprendre, dans l’escadre blanche en croisière sur les côtes de Hollande, le commandement de sa frégate ».

Ursus s’aperçut que Tom-Jim-Jack ne venait plus ; il en fut très préoccupé. Tom Jim-Jack n’avait point reparu depuis le jour où il était parti dans le même carrosse que la dame au quadruple. C’était, certes, une énigme que ce Tom-Jim-Jack qui enlevait des duchesses à bras tendu ! Quel approfondissement intéressant à faire ! que de questions à poser ! que de choses à dire ! C’est pourquoi Ursus ne dit pas un mot.

Ursus, qui avait vécu, savait quelles cuissons donnent les curiosités téméraires. La curiosité doit toujours être proportionnée au curieux. À écouter, on risque l’oreille ; à guetter, on risque l’œil. Ne rien entendre et ne rien voir est prudent. Tom-Jim-Jack était monté dans ce carrosse princier, l’hôtelier avait été témoin de cette ascension. Ce matelot s’asseyant à côté de cette lady avait un aspect de prodige qui rendait Ursus circonspect. Les caprices de la vie d’en haut doivent être sacrés pour les personnes basses. Tous ces reptiles qu’on appelle les pauvres n’ont rien de mieux à faire que de se tapir dans leur trou quand ils aperçoivent quelque chose d’extraordinaire. Se tenir coi est une force. Fermez vos yeux, si vous n’avez pas le bonheur d’être aveugle ; bouchez vos oreilles, si vous n’avez pas la chance d’être sourd ; paralysez votre langue, si vous n’avez pas la perfection d’être muet. Les grands sont ce qu’ils veulent, les petits sont ce qu’ils peuvent, laissons parler l’inconnu. N’importunons point la mythologie ; n’ennuyons point les apparences ; ayons un profond respect pour les simulacres. Ne dirigeons pas nos commérages vers les rapetissements ou les grossissements qui s’opèrent dans les régions supérieures pour des motifs que nous ignorons. Ce sont la plupart du temps, pour nous chétifs, des illusions d’optique. Les métamorphoses sont l’affaire des dieux ; les transformations et les désagrégations des grands personnages éventuels qui flottent au-dessus