Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VIII.djvu/135

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
113
LA RESSOURCE SUPRÊME.

çons-nous, si cela se peut encore, de réparer, dans tout ce qui dépend de nous, le mal que nous avons fait. Si l’enfant nous survit, venons-lui en aide. S’il meurt, tâchons qu’il nous pardonne. Ôtons de dessus nous notre forfait. Déchargeons de ce poids nos consciences. Tâchons que nos âmes ne soient pas englouties devant Dieu, car c’est le naufrage terrible. Les corps vont aux poissons, les âmes aux démons. Ayez pitié de vous. À genoux, vous dis-je. Le repentir, c’est la barque qui ne se submerge pas. Vous n’avez plus de boussole ? Erreur. Vous avez la prière.

Ces loups devinrent moutons. Ces transformations se voient dans l’angoisse. Il arrive que les tigres lèchent le crucifix. Quand la porte sombre s’entre-bâille, croire est difficile, ne pas croire est impossible. Si imparfaites que soient les diverses ébauches de religion essayées par l’homme, même quand la croyance est informe, même quand le contour du dogme ne s’adapte point aux linéaments de l’éternité entrevue, il y a, à la minute suprême, un tressaillement d’âme. Quelque chose commence après la vie. Cette pression est sur l’agonie.

L’agonie est une échéance. À cette seconde fatale, on sent sur soi la responsabilité diffuse. Ce qui a été complique ce qui sera. Le passé revient et rentre dans l’avenir. Le connu devient abîme aussi bien que l’inconnu, et ces deux précipices, l’un où l’on a ses fautes, l’autre où l’on a son attente, mêlent leur réverbération. C’est cette confusion des deux gouffres qui épouvante le mourant.

Ils avaient fait leur dernière dépense d’espérance du côté de la vie. C’est pourquoi ils se tournèrent de l’autre côté. Il ne leur restait plus de chance que dans cette ombre. Ils le comprirent. Ce fut un éblouissement lugubre, tout de suite suivi d’une rechute d’horreur. Ce que l’on comprend dans l’agonie ressemble à ce qu’on aperçoit dans l’éclair. Tout, puis rien. On voit, et l’on ne voit plus. Après la mort, l’œil se rouvrira, et ce qui a été un éclair deviendra un soleil.

Ils crièrent au docteur :

— Toi ! toi ! il n’y a plus que toi. Nous t’obéirons. Que faut-il faire ? parle.

Le docteur répondit :

— Il s’agit de passer par-dessus le précipice inconnu et d’atteindre l’autre bord de la vie, qui est au delà du tombeau. Étant celui qui sait le plus de choses, je suis le plus en péril de vous tous. Vous faites bien de laisser le choix du pont à celui qui porte le fardeau le plus lourd.

Il ajouta :

— La science pèse sur la conscience.

Puis il reprit :

— Combien de temps nous reste-t-il encore ?