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NOTES DE L’ÉDITEUR

Car il n’est pas obligé seulement de revoir et de compléter son livre, de fournir sans cesse de la copie, éloigné de ses éditeurs et de ses imprimeurs, il est contraint de diriger à distance les opérations pour la correction, la mise en pages, la publication ; de là cette correspondance presque quotidienne qui lui impose un surcroît de labeur ; il ne s’astreint pas uniquement à donner ses instructions au point de vue de la confection matérielle du livre (et on sait que sur ce point il est attentif, scrupuleux, méticuleux), mais il doit répondre à des observations sur tel ou tel chapitre qui paraît à Lacroix d’une trop grande hardiesse ou d’une philosophie trop profonde. Il discute, il défend ses idées, il accueille les remarques avec patience et bonhomie, mais si on agite devant lui les menaces des rigueurs administratives, il se montre résolu à braver le péril ; si on fait défiler devant ses yeux la légion des contrefacteurs qui vont le piller, il conserve toute sa sérénité en apprenant à ses éditeurs qu’on ne combat la contrefaçon qu’en la faisant soi-même.

Dans ces lettres, d’une écriture très fine sur papier pelure, avec l’adresse inscrite sur le recto, l’enveloppe étant un luxe postal assez coûteux, Victor Hugo se montre tantôt charmant, caressant, élogieux pour ses collaborateurs, tantôt sévère ou un peu maussade quand il surprend des faiblesses ou des négligences ; mais il ne laisse voir que la pointe de la griffe.


En septembre 1861, Victor Hugo annonçait à ses éditeurs que son roman serait divisé en trois parties :


L’action du livre est une ; les trois parties existent sous des titres spéciaux, mais tout le livre tourne autour d’un personnage central qui le résume. C’est le drame social, mêlé par moments, comme cela doit être, au drame politique.

Le 12 octobre, autorisant Lacroix à annoncer les Misérables, il donne les titres des trois parties :


… La première intitulée : Fantine, la seconde Cosette et Marius et la troisième Jean Valjean, qui seront comme les trois actes du drame social et historique du dix-neuvième siècle. Ajouter que l’ouvrage aura sept ou huit volumes, et que chaque partie fera une sorte de tout, ou de drame distinct tournant autour d’un personnage central.


Sept ou huit volumes ; cela fait réfléchir Lacroix qui demande alors que l’ouvrage soit divisé en quatre parties. Victor Hugo, dans sa réponse du 10 novembre, y voit « plus d’une difficulté ».

Pourtant ce point était important à fixer ; Lacroix, qui avait acheté les Misérables depuis un mois à peine, se préoccupait déjà de la rédaction d’un prospectus et demandait à Victor Hugo des conseils :


Il devrait être très court, lui répond Victor Hugo le 17 novembre, ne déflorer le livre en aucune façon, parler surtout de Notre-Dame de Paris, car on a mauvaise grâce à parler de l’avenir et bonne grâce à rappeler le passé, et dire ceci en substance : « — Après le moyen-âge, le temps présent ; telle est la double étude de Victor Hugo. Ce qu’il a fait pour le monde gothique dans Notre-Dame de Paris, il le fait pour le monde moderne dans les Misérables. Ces deux livres seront dans son œuvre comme deux miroirs reflétant tout le genre humain. »


On a vu, au volume précédent, le refus énergique que Victor Hugo avait opposé à la publication des Misérables en feuilleton ; Lacroix pourtant ne se tenait pas pour battu puisqu’il avait entamé d’autres négociations que Victor Hugo, d’ailleurs, arrêta immédiatement par cette lettre du 18 décembre :


J’extrais ces quelques lignes d’une lettre de M. Paul Meurice où il me parle de vous bien sympathiquement :

Nettzer lui demande pour le Temps le droit de donner à ses abonnés le livre en