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NUIT DERRIÈRE LAQUELLE IL Y A LE JOUR.

sont en diamant ; ils changent les chandelles qu’on y met, en cierges. Je ne sais pas si celui qui me les a donnés est content de moi là-haut. J’ai fait ce que j’ai pu. Mes enfants, vous n’oublierez pas que je suis un pauvre, vous me ferez enterrer dans le premier coin de terre venu sous une pierre pour marquer l’endroit. C’est là ma volonté. Pas de nom sur la pierre. Si Cosette veut venir un peu quelquefois, cela me fera plaisir. Vous aussi, monsieur Pontmercy. Il faut que je vous avoue que je ne vous ai pas toujours aimé ; je vous en demande pardon. Maintenant, elle et vous, vous n’êtes qu’un pour moi. Je vous suis très reconnaissant. Je sens que vous rendez Cosette heureuse. Si vous saviez, monsieur Pontmercy, ses belles joues roses, c’était ma joie ; quand je la voyais un peu pâle, j’étais triste. Il y a dans la commode un billet de cinq cents francs. Je n’y ai pas touché. C’est pour les pauvres. Cosette, vois-tu ta petite robe, là, sur le lit. ? la reconnais-tu ? Il n’y a pourtant que dix ans de cela. Comme le temps passe ! Nous avons été bien heureux. C’est fini. Mes enfants, ne pleurez pas, je ne vais pas très lom. Je vous verrai de là. Vous n’aurez qu’à regarder quand il fera nuit, vous me verrez sourire. Cosette, te rappelles-tu Montfermeil ? Tu étais dans le bois, tu avais bien peur ; te rappelles-tu quand j’ai pris l’anse du seau d’eau ? C’est la première fois que j’ai touché ta pauvre petite main. Elle était si froide ! Ah ! vous aviez les mains rouges dans ce temps-là, mademoiselle, vous les avez bien blanches maintenant. Et la grande poupée ! te rappelles-tu ? Tu la nommais Catherine. Tu regrettais de ne pas l’avoir emmenée au couvent ! Comme tu m’as fait rire des fois mon doux ange ! Quand il avait plu, tu embarquais sur les ruisseaux des brins de paille, et tu les regardais aller. Un jour, je t’ai donné une raquette en osier, et un volant avec des plumes jaunes, bleues, vertes. Tu l’as oublié toi. Tu états si espiègle toute petite ! Tu jouais. Tu te mettais des cerises aux oreilles. Ce sont là des choses du passé. Les forêts où l’on a passé avec son enfant, les arbres où l’on s’est promené, les couvents où l’on s’est caché, les jeux, les bons rires de l’enfance, c’est de l’ombre. Je m’étais imaginé que tout cela m’appartenait. Voilà où était ma bêtise. Ces Thénardier ont été méchants. Il faut leur pardonner. Cosette, voici le moment venu de te dire le nom de ta mère. Elle s’appelait Fantine. Retiens ce nom-là : Fantine. Mets-toi a genoux toutes les fois que tu le prononceras. Elle a bien souffert. Elle t’a bien aimée. Elle a eu en malheur tout ce que tu as en bonheur. Ce sont les partages de Dieu. Il est là-haut, il nous voit tous, et il sait ce qu’il fait au milieu de ses grandes étoiles. Je vais donc m’en aller, mes enfants Aimez-vous bien toujours. Il n’y a guère autre chose que cela dans le monde : s’aimer. Vous penserez quelquefois au pauvre vieux qui est mort ici. Ô ma Cosette ! ce n’est pas ma faute, va, si je ne t’ai pas vue tous ces