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NOTES DE L’ÉDITEUR.

Le 30 juin, les quatrième et cinquième parties des Misérables paraissaient.

Le 10 juillet, Lacroix, revenu à Bruxelles après avoir passé plusieurs jours à Paris pour la vente, donne sa dernière impression :


J’ai, étant à Paris, comme ici à Bruxelles, comme dans les pays étrangers par nos correspondants, j’ai ausculté l’opinion pour ainsi dire, et une vaste rumeur d’admiration prolongée et presque unanime a pu être recueillie par moi. L’envie est réduite au silence ; les adversaires sont vaincus par la force même du succès ; les incertains ou les tièdes sont gagnés, entraînés par le courant général ; la masse du public, la foule est enthousiasmée, non moins que tous les amis connus et inconnus que vous comptez en si grand nombre sur tous les points du monde — suprême puissance du génie qui soulève les hommes et les conquiert et les entraîne à sa suite…

Ce qui est un signe de la haute impartialité de votre œuvre, c’est que tous les partis doivent y rendre hommage, j’entends les partis honorables et les hommes consciencieux. Votre œuvre est en effet supérieure aux partis et aux passions qui agitent les hommes ; elle plane au-dessus des misères humaines avec une sorte de lumineuse sérénité.

…Je suis heureux de votre immense et éclatant succès, non pour moi seulement, non pour l’entreprise seulement, mais pour votre œuvre elle-même, mais pour vous, mais pour notre siècle qui a besoin de ces grandes lueurs qui passent au-dessus de tant de petitesses, mais pour cet idéal inassouvi que je sens en moi et qu’un livre comme le vôtre réveille, ranime et satisfait, heureux pour l’art enfin qui éclate si magnifique dans vos Misérables !


Lorsque parurent les livres Waterloo et le Petit-Picpus, les républicains manifestèrent quelque mauvaise humeur. Paris luttait avec ardeur contre l’empire, un grand réveil s’était produit ; il devait se traduire l’année suivante par l’envoi de neuf députés de l’opposition au Corps législatif. On n’avait aucune indulgence pour Napoléon Ier. Lacroix fait allusion à ces premières impressions :


Vous connaissez la joie des républicains que la barricade a fait revenir de leur jugement trop hâtif et surtout trop empreint de partialité sur Waterloo et sur le Petit-Picpus.


Or c’était précisément la barricade qui avait provoqué les inquiétudes de Lacroix au sujet de l’éventualité. Le gouvernement impérial avait eu la prudence de ne pas interdire les Misérables. Il avait compris que, s’il eût causé quelque préjudice à l’exploitation commerciale, il eût été, si c’était possible, le meilleur auxiliaire d’un plus grand succès encore.


Victor Hugo arrivait à Bruxelles le 30 juillet au soir ; le 1er août, il revoyait son fils Charles après onze mois de séparation. Charles Hugo et Paul Meurice venaient lire au maître le drame qu’ils avaient tiré des Misérables.

Ils partirent tous trois visiter la Belgique et le Rhin ; à Cologne, ils apprirent le 15 août que le drame était interdit à Paris. Charles et Paul Meurice revinrent aussitôt en France, et Victor Hugo poursuivit seul son voyage. Il rentra à Bruxelles le 14 septembre, assista le 16 au banquet donné en son honneur à l’occasion des Misérables. Nous parlerons, dans le volume suivant, du banquet et du drame. Le 21 septembre, Victor Hugo quitta Bruxelles et revint à Guernesey. Il était toujours en correspondance avec Lacroix, qui désirait publier en même temps que les œuvres complètes les Chansons des rues et des bois, et qui ne cessait, pour arriver à ses fins, de célébrer la grande victoire des Misérables. Lacroix avait écrit une lettre, que nous n’avons pas, sur le résultat financier des Misérables, ais la réponse de Victor Hugo, datée du 21 octobre 1862, nous renseignera :


Je vous remercie, mon cher monsieur Lacroix, de tous les satisfaisants détails que vous