Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome V.djvu/416

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
404
NOTES DE L’ÉDITEUR.

nier point Lacroix allait être satisfait ; il recevait en effet, le 24 avril, les livres X, XI, XII de la quatrième partie, le 5 juin 1832, l’Atome fraternise avec l’ouragan, Corinthe. Il était impatient de les connaître, car cette Épopée de la rue Saint-Denis lui semblait un peu épineuse au moment où les rumeurs d’interdiction circulaient.

Lacroix préconisait très légitimement la prévoyance, parce qu’il ne voulait pas compromettre commercialement l’affaire si belle qu’il tenait entre les mains.

Hetzel n’écrivait-il pas précisément à Victor Hugo à la même date :


Savez-vous, mon ami, que devant le succès vous avez fait une médiocre affaire et que les Misérables vous eussent rendu en un an le double de ce qu’ils vont vous avoir donné.

Et pourtant vous avez agi sagement et en père de famille entendu — en prenant le certain. J’ai, moi, agi de même — et voilà que nous avons lieu tous deux de nous en repentir. Cela nous apprendra à être sages. De quoi nous avisons-nous sur nos vieux jours de tourner à la prudence ?

Il y a ici dix personnes qui me crient : Si vous m’aviez demandé de l’argent — Si, si, si… ! Et voila le monde.


C’était aussi de la prudence… avant le succès. Après, c’était une vraie fanfaronnade. Ces excellentes personnes se plaignaient à Hetzel qu’il ne leur eût pas demandé l’argent qu’elles auraient infailliblement refusé avant la publication. Hetzel en avait fait l’expérience.

Si Lacroix se sentait désarmé du côté du gouvernement, tout au moins il voulait faire payer sa mauvaise humeur aux contrefacteurs, de plus en plus nombreux, et il demandait de nouveau à Victor Hugo des pouvoirs pour assurer la propriété en Angleterre et en Portugal.

Il n’y avait pas moins de onze contrefaçons à l’étranger !

Ah ! cette concurrence déloyale ! Ah ! ces dénonciations des journaux officieux contre les Misérables ! Le salut lié à la rapidité de la publication, et tous les efforts dispersés ! l’auteur à Guernesey, les éditeurs et les imprimeurs à Paris et à Bruxelles ! de l’éloquence dépensée en pure perte pour attirer Victor Hugo à Bruxelles ! Telles étaient les plaintes que poussait Lacroix à l’heure où le péril lui semblait le plus redoutable. Il se serait senti rassuré s’il avait eu Victor Hugo auprès de lui. Mais il lui avait offert inutilement sa maison et le parc de Bruxelles. Son insistance personnelle serait désormais indiscrète et stérile.

Lacroix fera donner la garde.

Le 27 avril, Pagnerre, au nom de tous, envoie à Lacroix ce mot destiné à être montré à Victor Hugo :


La famille Hugo, M. Vacquerie, M. Meurice, qui est en plein coup de feu pour sa pièce avec George Sand, déplorent la détermination de M. Victor Hugo de ne pas venir à Bruxelles. Bien que tout jeune encore, j’ai déjà une certaine expérience en librairie, et je crois pouvoir déclarer que M. Victor Hugo, en ne venant pas à Bruxelles opérer la prompte terminaison des volumes à publier, compromet très gravement le succès et surtout l’avenir de son ouvrage.


Lacroix, en transmettant ce mot à Victor Hugo, allait au-devant des objections :


Je reconnais que le déplacement est une perte de temps, mais je pensais qu’une fois le manuscrit complètement révisé, vous pourriez venir. Je sais bien que vous ne pourrez travailler ici davantage que vous ne le faites à Guernesey. Aussi la question n’est pas là, mais dans l’économie énorme de temps qui résulte d’une correction sur place.


Victor Hugo répondait en effet qu’il travaillait plus rapidement et plus paisiblement à Guernesey, tandis qu’il serait sans cesse dérangé à Bruxelles. Or le manuscrit n’était pas entièrement révise et ne devait l’être que le 19 mai, c’est-à-dire vingt-deux jours après l’envoi de la lettre de Lacroix. En revanche,