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NOTES DE L’ÉDITEUR.

rice présente, paraissez le 3. — Pourquoi pas, ma foi ? reprend Meurice. Essayons, monsieur Pagnerre. Allons trouver Auguste, allons trouver Claye, allons trouver les journalistes, tout de suite une voiture, ma femme.

Il était dix heures du matin, Auguste était encore chez lui, il mange une bouchée, grimpe avec Meurice dans le fiacre, ils se précipitent chez Claye qui heureusement était aussi chez lui et qui trouve l’idée presque irréalisable, on le prêche et on le presse, il cède. Il sacrifiera des caractères neufs, on passera la nuit pour brocher, il se mettra en quatre, et l’on paraîtra le trois. — Maintenant occupons-nous des affiches et des journalistes, se disent Auguste et Meurice. Ils vont au Siècle, à la Presse, au Temps, aux Débats, les annonces en poche, les bonnes feuilles et les citations ; ils trouvent toute la bonne volonté possible chez les journalistes qu’ils ont cette autre chance de rencontrer. Édouard[1], relancé jusque dans son atelier, a été charmant, il donnait à Janin l’autorisation de faire et de dire ce qu’il voudrait. Meurice prend le chemin de fer pour aller chez Janin, chez lui aussi. — Je ne puis parler du livre ce soir puisque je ne le connais pas, dit Janin, faites vous-même la chose, Meurice, ma femme écrira sous votre dictée. Mme  Janin écrit sous la dictée de Meurice. Hier soir à dix heures Auguste portait l’écrit au Journal des Débats ; la Presse avait à la même heure sa copie. — Jamais publication n’a été mieux faite. Il est vrai qu’on a dépensé 9 heures de voitures, qu’on a parlé à gagner une extinction de voix. — Vous l’avez échappé belle, cher auteur, les belges ont tenté de jouer un tour que vous eussiez prévenu si vous aviez été à Bruxelles. Vous serez grondé pour votre peine.


Le « tour » de Lacroix avait valu à Victor Hugo de nouveaux reproches pour son obstination à rester à Guernesey. Sa réponse était d’ailleurs toujours prête. Il fournissait sans répit de la copie.

Le 2 avril il envoyait à Lacroix les deux premiers livres de la quatrième partie, et dans ses carnets il annonçait :


3 avril. Les Misérables (1re partie, Fantine) paraissent aujourd’hui. Les journaux arrivent pleins de citations.


Le succès fut immense. Lacroix était venu à Paris ; et triomphant, il écrivait le 3 avril :


Cher monsieur Victor Hugo,

Grand jour ! Triomphe éclatant ! Enthousiasme complet ! Nous avons fêté cette victoire, cher maître, par un charmant dîner chez M. Meurice avec Mme  Victor Hugo, votre fils, M. Pagnerre et M. Vacquerie. — On n’a parlé que de vous toute cette soirée. — Partout à Paris, il est question de vous. — Tous les journaux ont lancé avec éclat les Misérables. Les extraits ont été d’un effet énorme. — La vente est réellement pleine d’entrain.


On pouvait croire l’éditeur. En effet, depuis longtemps, il n’y avait pas eu un succès semblable en librairie. Lacroix, quoique étourdi encore du bruit de cette grande manifestation, ne perd pas son sang-froid, car, dans cette même lettre toute remplie de sa joie, il ne s’abandonne pas longtemps à la douce quiétude du triomphe, il ne veut même plus songer à cette minute inoubliable où l’auteur a été fêté et où lui, éditeur, a pris une petite part de sa gloire, il pense au lendemain ; il a gagné la première bataille et veut poursuivre tous ses avantages : il profite de la circonstance pour relancer Victor Hugo et lui adresser la prière habituelle qui a cette fois des senteurs d’églogue :


Le tout est de paraître vite avec les parties suivantes :

— Cette fois vous devez venir à Bruxelles. C’est la condition de la rapidité, c’est la condition absolue du succès de votre œuvre complète — votre présence à Bruxelles sera même d’un heureux effet sur l’élan nouveau à donner au livre, parce que chacun vous saura plus près de lui pour ainsi dire. — Vous viendrez, n’est-ce pas, mon cher maître, vous vous rendrez cette fois à ma prière, à notre prière à tous : vous vous rendrez à

  1. Édouard Bertin.