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HISTORIQUE DES MISÉRABLES.

25,000 francs par volume ; Hetzel écrit aussitôt le 5 septembre :


Je ne puis croire que Charles ait fait cette réponse. 25,000 le volume ! c’est ce que je vous ai offert, c’est ce que vous avez refusé. C’est bien 50,000 fr. que vous m’avez dit de demander. J’espère, cher maître, que par un malentendu quelconque il n’arrivera pas que vous accordiez à d’autres ce que vous m’avez refusé… Imaginez donc une combinaison qui rende possible que je fasse votre livre. Ce sera un chagrin cruel pour moi que de le voir aller en d’autres mains et un embarras en bien des points pour l’œuvre complète à laquelle se rattache un intérêt qui vaut la peine de n’être point méprisé…

Bref, si vous voulez traiter à 25,000, je trouverai la somme.


Le 13 septembre 1861, Hetzel reprend l’offensive ; sans doute ses capitalistes n’avaient pas accepté ses premières conditions. Mais quelles étaient ces conditions ? Hetzel va le dire :


N’oubliez pas que vous m’avez dit que votre dernier mot était 300,000 fr. et que j’ai dû parler en conséquence. Si vous pensiez donc pouvoir aller au-dessous, dites-le-moi.


Victor Hugo n’avait nullement diminué son prix comme le croyait Hetzel ; il vendait bien les Misérables 250,000 francs ou 300,000 francs avec le droit de traduction. Seulement il avait augmenté le nombre de volumes, porté à huit ou même à neuf, d’après sa dernière lettre à Lacroix ; et Hetzel était resté au chiffre de six volumes annoncé. Or Victor Hugo demandait pour son roman, quelle qu’en fût la longueur, la somme de 250,000 francs ou éventuellement 300,000 francs. C’était bien pour les six volumes une somme de 50,000 francs par volume. Il se trouvait donc en présence de deux éditeurs qui le sollicitaient ; mais Hetzel avait déjà pressenti des capitalistes qui avaient refusé ces conditions et qui n’auraient pas, en tout état de cause, consenti à un versement anticipé ; en effet, dans cette même lettre du 13 septembre, Hetzel ajoute :


Quand j’ai dit 300,000 fr. et qu’on a reculé, je n’ai pas pu dire que vous accepteriez soit 200,000, soit 250,000. Qui sait si la somme se rapprochant de celle qu’on voulait mettre à ma disposition je n’obtiendrais pas quelque chose qui pût vous satisfaire.

Ces Mrs  Lacroix sont de ceux à qui j’ai posé, par votre ordre, ce chiffre de 300,000 fr. Si vous leur donnez au-dessous sans m’avoir dit quel est votre minimum, c’est à eux que vous donnerez par le fait une véritable préférence et à prix réduit.


En réalité Hetzel se portait fort de trouver 25,000 francs par volume, soit pour les six volumes alors prévus et annoncés 150,000 francs. En dehors de cela il n’offrait qu’une combinaison éventuelle puisque ses commanditaires avaient nettement reculé devant le chiffre de 300,000 francs. C’est alors qu’il s’était entremis auprès de Lacroix qui offrait des payements comptant et n’était nullement effrayé de la somme de 300,000 francs. On peut expliquer ainsi pourquoi la balance semblait pencher du côté de Lacroix.

Hetzel cependant entrait dans des considérations qui pouvaient avoir leur valeur. Il voyait un intérêt à ce que l’œuvre complète de Victor Hugo restât dans les mêmes mains :


Oubliez, je vous le demande, l’ami. Ne pensez qu’à vos livres dans leur ensemble, à l’importance considérable qu’acquiert une œuvre quand elle peut marcher d’ensemble et vous verrez que votre devoir envers elle, envers cette œuvre dans sa totalité, peut être que vous ne négligiez rien de ce qui peut empêcher qu’on la divise. — M. de Lamartine fait son œuvre complète avec succès. — Savez-vous pourquoi, c’est qu’il donne l’assurance que l’avenir doit rentrer à bref délai dans cette œuvre complète… Réfléchissez à cela, et si vous le trouvez juste, tenez-en compte dans tout traité que vous pouvez faire sans moi, si je n’arrive pas à vous satisfaire