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RELIQUAT DES MISÉRABLES.

vous satisfaits ? non. Est-ce l’élection à niveau ? elle fonctionne à l’Institut et produit les académiciens. Êtes-vous contents ? Pas davantage. Appelez pour remplacer l’Institut tous les lettrés indistinctement, les petits et les grands, les obscurs et les illustres, tous, depuis le dernier vaudevilliste qui aura sa voix jusqu’à Molière qui n’aura que la sienne ; mettez à la place des collèges électoraux le peuple tout entier, les bons et les mauvais, les savants et les ignorants, les travailleurs et les penseurs, les oisifs opulents et les fainéants déguenillés, les indigents et les riches, les maîtres et les ouvriers, tous, depuis votre portier, membre du souverain, jusqu’à Napoléon, membre de la foule ; ce changement fait, quel est le résultat ? l’élection meilleure ? non. Nous sommes de ceux qui se bornent à croire qu’elle ne sera pas pire. Dans tous les cas, l’élection sera telle quelle ; et, vu l’infirmité des choses humaines, si l’élection est passable, le résultat sera admirable.

Quel que soit le procédé, quel que soit le mécanisme, qui dit élection dit mise en jeu de toutes les intrigues, passions éveillées, calomnies aiguisées, coalition des médiocrités contre le talent, intimidation possible du faible par le fort, corruption probable du pauvre par le riche, exploitation certaine des simples par les habiles, l’intérêt personnel écouté, l’intérêt général oublié, troubles, nuages et visions devant les meilleurs yeux, convocation à jour fixe de toutes les malveillances, de toutes les jalousies, de toutes les ambitions, de toutes les prétentions, de toutes les vanités pour le service de la justice et de la vérité. Le principe électif a donc ses vices comme le principe héréditaire. L’un est incertain comme le hasard, l’autre est imparfait comme l’homme. D’excellence, point ; ni d’un côté ni de l’autre.

Ajoutons ceci qui semble bizarre au premier coup d’œil et qui est vrai à beaucoup d’égards, c’est que lorsqu’il s’agit de la désignation du chef suprême, l’hérédité est moins blessante pour la dignité humaine que l’élection. En effet, voyez : l’hérédité fait de cet homme le roi ; pourquoi ? parce qu’il s’appelle Bourbon, Bragance, Brunswick ou Orléans. Rien de plus. Ce n’est que la constatation d’un fait ; cela ne met moralement personne au-dessous du roi ; cela le réduit à l’état de principe, et maintient à tous les esprits supérieurs au sien, à toutes les vertus plus hautes que la sienne, le droit de saisir le pouvoir et de gouverner, lui présent. Dieu aidant ; car dans les monarchies constitutionnelles, il ne faut jamais l’oublier, le chef suprême est un chef nominal. L’hérédité, on le voit, laisse la suprématie réelle au concours, permet aux idées, aux lettres, aux conjonctures, de produire le véritable gouvernant, et par conséquent ne froisse en rien la fierté du citoyen. Elle se borne, nous le répétons, à dire : celui-ci s’appelle Bourbon, ou Orléans. Voyez l’élection, au contraire : l’élection fait de cet homme le président de la république, le chef de l’état, chef effectif cette fois et non plus simplement nominal. Pourquoi ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que cet homme est le plus capable, le plus honnête, le plus intelligent, le meilleur. L’élection affirme cela ou elle n’affirme rien. Or l’élection peut se tromper, et souvent elle se trompe. Quelle injure pour tous ceux qui sont vraiment meilleurs que le meilleur officiel, plus grands que le plus grand proclamé ! Quel affront pour la dignité de tous que cette exaltation d’une indignité !

Indignité à laquelle il faudra obéir, car la république non moins que la monar-