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RELIQUAT DES MISÉRABLES.

l’œuvre lente, mystérieuse et juste de l’évangile, la construction même de Jésus-Christ. Discuter la démocratie, chicaner la démocratie, barrer le chemin à la démocratie, c’est discuter le rocher qui se minéralisé, chicaner l’astre qui tourne, barrer le chemin à la marée qui arrive. Le peuple s’éclaire absolument comme le vallon, parce que le soleil monte, parce que l’intelligence humaine s’élève. Cette lumière qui se fait, c’est le gouvernement de la démocratie qui commence, car être éclairé, c’est être intelligent, c’est gouverner. Qui redoute la démocratie a peu réfléchi ou voit dans ce mot ce qui n’y est pas. Bouleversement ? démolition ? ruine ? catastrophe ? écroulement ? non. L’avènement de la démocratie n’est pas une chute, c’est une ascension. Le fait démocratique n’est autre chose que le fait social complètement épanoui. La démocratie se concilie et se conciliera avec la hiérarchie et avec l’hérédité, hérédité du pouvoir, hérédité de l’illustration, hérédité de la propriété, hérédité politique, hérédité sociale, parce que la hiérarchie et l’hérédité sont invinciblement dans la nature comme la démocratie elle-même, et que le propre des grands faits éternels de la nature, c’est de vivre en bon voisinage et de s’admettre les uns les autres. La démocratie peut circuler au dedans de toutes les formes politiques et les féconder et les nourrir comme la sève nourrit et féconde toutes les végétations.

Il faut donc distinguer et distinguer profondément entre l’idée république et l’idée démocratie. Il y a des républiques despotiques, il y a des monarchies démocratiques.

Terminons par une considération qui ne sera comprise aujourd’hui peut-être que d’un petit nombre d’esprits, mais qui résulte pour nous de la contemplation assidue des linéaments confus de l’avenir.

Tout marche à l’unité de l’Europe, chemins de fer, suppression des douanes, mélanges des peuples, circulation des idées, croisement des nationalités. La fusion de l’Europe dans l’esprit français, voilà l’avenir évident, l’avenir désirable. C’est-à-dire plus de chocs de nations, plus de sang versé, un tribunal d’amphictyons, les querelles des peuples jugées et leurs haines conciliées, les luttes de l’esprit remplaçant les luttes de la force, la paix inébranlable substituée à l’antique guerre inextinguible. Qui ne sent que la France république, ravivant toutes les animosités et toutes les défiances européennes, retarderait cet avenir, et que la France monarchie y aidera ? Or, nous le demandons aux républicains eux-mêmes, quel est le plus beau résultat pour la révolution française, d’aboutir à la république en France, ou d’aboutir à la fraternité en Europe ?

Pour résumer dans un dernier mot notre pensée entière, l’avenir des sociétés n’est dans aucune forme politique, il n’est ni dans la royauté, ni dans la présidence élective, il est dans la démocratie, qui, bien comprise, admet toutes les formes sociales, toutes les constitutions pourvu qu’elles soient libérales, et n’exclut pas plus la monarchie que la république. La démocratie est le complet développement, aidé et garanti par l’état, de toutes les facultés de chacun ; à chaque intelligence toute la place que son envergure réclame, voilà la vraie égalité. Le jour où la sphère d’action de l’un pénètre et trouble la sphère d’action de l’autre, le despotisme paraît et l’oppression commence. Le progrès définitif de la civilisation humaine est dans la