Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome V.djvu/368

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
356
RELIQUAT DES MISÉRABLES.

« La décadence commencerait. Ceci est tellement vrai que, pour n’indiquer en passant qu’une preuve entre mille, le lendemain du jour où la république fut établie, la fédération se déclara. Or qu’est-ce que la fédération ? la première phase du démembrement. Qu’est-ce que le démembrement ? la mort. Jamais la monarchie n’avait eu besoin de se proclamer une et indivisible.

« L’unité d’une nation est un fait de végétation mystérieuse, et résulte du sol, du climat, des circonstances, surtout du génie propre de la nation elle-même, de son espèce, pourrait-on dire.

« Telle nation vient république, telle autre monarchie. Telle nation se forme du groupe de plusieurs unités et pousse forêt comme l’Allemagne, comme l’Italie au moyen-âge, comme la Grèce dans l’antiquité ; telle autre nation naît et grandit dans son isolement, prend tout le terrain ou tout l’espace autour d’elle et devient un grand chêne comme Rome, comme l’Angleterre, comme la France. Quand le fait est produit, il est fatal. N’y touchez pas. L’unité, c’est l’absolu. Vouloir refaire autrement cette forme sociale que Dieu a faite ainsi, ce serait attaquer la vitalité même de cette nation. Il n’y a pas d’orthopédie qui redresse et façonne les peuples à la fantaisie des utopistes. D’une monarchie toute venue on ne peut pas plus faire une république ; et réciproquement, qu’on ne pourrait faire un tilleul d’un orme ou un cèdre d’un sapin.

« Une fois qu’elles sont formées, respectons ces grandes unités monarchiques ou républicaines qui sont la figure même des nations. N’y portons pas la hache par la raison étrange qu’un autre feuillage nous conviendrait mieux.

« Acceptons d’un cœur reconnaissant et pieux l’ombre que nous donne ce grand arbre, ne l’abattons pas. — Ce grand arbre, c’est la patrie.

« Dans tous les cas, que ceux qui avec un esprit élevé, une raison loyale, une volonté droite, une fermeté honnête et généreuse, imaginent de pareilles transformations, en soient avertis ; elles sont impossibles. La France de l’avenir doit se composer des mêmes éléments que la France du passé et la France du présent ; éléments modifiés, mais conservés ; améliorés, mais reconnaissables. La France doit continuer d’adhérer avec elle-même sous peine de n’être plus la France. À la place de cette monarchie, vous voulez une république. Soit. Mais êtes-vous résignés à ceci : ce n’est plus la France. C’est la plantation d’un autre arbre.

« Et puis d’une vieille monarchie de quatorze siècles, cœur, âme, centre, clef de voûte de l’antique continent monarchique européen, faire une toute jeune république soutenue par l’enthousiasme, suspendue dans l’idéal, isolée dans l’azur, quel beau rêve, mais quel rêve !

« En France donc, en admettant qu’au point de vue de la spéculation pure et de l’utopie, la république ait pour elle la logique, la monarchie a pour elle la raison. »




Le troisième fragment est curieux ; si Victor Hugo défend toujours le principe monarchique, néanmoins il repousse la légitimité : « À quoi bon se faire une petite patrie quand on en a une grande ? à quoi bon être de la Vendée quand on est de la France » ; lui, fils d’une vendéenne, il veut une monarchie plus moderne,