philosophe, c’est le poëte, c’est le penseur, c’est le rêveur. Mérite immense le premier jour d’une révolution, immense défaut le lendemain.
« Car, et c’est là qu’il faut bien en venir, un tel langage, qui est presque génésiaque, convient à l’aurore des mouvements sociaux et populaires ; mais plus tard, ce haut langage manque de propriété, et ne se superpose plus ni aux idées, ni aux hommes, ni aux événements de la seconde période.
« Les révolutions vraies se rapprochent, le premier jour, de l’humanité, le deuxième, de la nationalité.
« Le premier jour, dans cet enivrement qui accompagne la promulgation, et ce qu’on pourrait appeler la découverte des grands principes, les yeux remplis des sombres éblouissements de l’avenir, on peut ne plus rien savoir du passé, nier l’histoire, rompre la tradition, raturer au hasard les anciens titres de tout un peuple, construire à la hâte sur le vieux sol européen, comme si l’on était sur la terre vierge d’Amérique, une république qui ne tient à rien autour d’elle, oublier qu’en Amérique une république ne lutte que contre les sauvages et qu’en Europe elle lutte contre la civilisation ; on peut enfin tout tenter, tout essayer, tout recommencer, tout refaire à neuf, la législation, la constitution, les mœurs, l’état.
« Le deuxième jour on doit se rappeler tout ce qu’on avait oublié le premier, rentrer dans la pratique et dans l’application, étudier la réalité, tenir compte de l’histoire, des faits, des traditions, des nécessités, des habitudes sociales, des préjugés, des mœurs, du bien et du mal, de tout ce qui constitue l’originalité d’un peuple et la forme séculaire d’un empire ; on doit accepter enfin son pays tel qu’il est et en tirer le plus de parti possible.
« Or la révolution de 1830 est le second jour de la révolution de 1789.
« Voilà ce qu’ont le tort d’oublier ceux qui après 1830 promulguent une seconde fois la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
« Ils adorent une forme, morte selon les uns, immortelle selon les autres, mais une forme, au lieu d’étudier et de féconder le fond vivant. Ils refont le second jour l’œuvre du premier. Ils ne sont pas de leur temps.
« Et puis, ce qui importe à la grandeur d’un peuple, ce n’est pas la forme république ou la forme monarchie, c’est l’unité de la nation. En soi, à la seule condition qu’elles se produisent selon leur loi locale et naturelle, la monarchie et la république se valent ; la république est capable de pouvoir, la monarchie est capable de liberté.
« Seulement une fois qu’une nation a trouvé la forme sous laquelle son unité se développe le mieux, il faut qu’elle s’y tienne. La forme républicaine, six siècles de puissance et d’accroissement continus le prouvent, était celle qui convenait à Rome ; le jour où la république romaine est devenue empire romain, c’est-à-dire le jour où elle s’est faite monarchie, sa décadence a commencé. La forme monarchique, huit siècles de puissance et d’accroissement continus le prouvent, est celle qui convient à la France ; le jour où la France se ferait république, il lui arriverait ce qui est arrivé à Rome se faisant monarchie. Elle commettrait, en la retournant, la même faute. Un romain monarchique, un français républicain, c’est le même homme qui se trompe de la même façon.