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RELIQUAT DES MISÉRABLES.

portions monstrueuses, n’apparaît plus à l’esprit comme rassemblée d’un peuple, mais comme le concile violent du genre humain furieux. Les personnes disparaissent devant cette assemblée géante ; il ne reste plus que des idées.

« Cela ne ressemble ni à un sénat, ni à un aréopage, ni à une chambre, ni à un parlement ; cela a d’autres dimensions ; ces hommes effrayants qui s’agitent là dans les ténèbres sont parfois au-dessus, parfois au-dessous de l’humanité, toujours au delà. Les principaux d’entre eux semblent appartenir à cette race fabuleuse de monstres qui étaient en même temps des demi-dieux. La convention est tantôt un panthéon, tantôt un pandœmonium. C’est là, à notre avis, la suprême originalité de cette assemblée unique ; les vrais personnages qui luttent dans cette enceinte et qui s’y prennent corps à corps, ce sont des idées. De ces bancs couverts d’ombre et pleins de tumulte, de ces sièges où s’agitent, bras nus et coiffés du bonnet rouge, des législateurs en sabots, de cette tribune qui semble par moments disparaître dans les nuées et les éclairs, de cette Gironde, de cette Montagne, il sort des abstractions qui s’en dehors à la clarté du ciel, sous les yeux du peuple entier, exterminer d’autres abstractions. Le régicide anglais, c’est la décapitation d’un roi ; le régicide français, c’est la décapitation de la royauté.

« Pour la révolution d’Angleterre, Charles Ier était un obstacle ; pour la révolution de France, Louis XVI est un prétexte. On dresse l’échafaud dans les deux cas.

« Seulement, il nous est impossible de ne point faire en passant cette remarque, la convention s’est trompée ; la convention, effarée et comme aveuglée par les fantasmagories vertigineuses qu’elle avait devant les yeux, n’a pas su clairement ni vu distinctement ce qu’elle faisait. De même qu’elle appelait l’anarchie liberté, elle a appelé la royauté tyrannie. En réalité, elle n’a pas plus décapité la royauté qu’elle n’a jugé Louis XVI. Elle a le 21 janvier, le même jour, sur le même échafaud, mis à mort un roi agneau et décapité la tyrannie. En menant à fin l’œuvre fatale du régicide, elle a accompli tout ensemble et mêlé dans la même action une grande et terrible justice et une abominable iniquité ; elle a du même coup châtié quelque chose et assassiné quelqu’un.

« Quant à la royauté, la convention ne lui a fait aucun mal. Un roi est un homme, la tyrannie est un abus ; on peut les tuer. La royauté est un principe comme la liberté elle-même ; or les principes sont immortels, et il n’est pas plus donné à l’anarchie de tuer la royauté qu’à la tyrannie de tuer la liberté.

« Tous les actes de notre révolution, les actes frénétiques comme les actes grandioses, ont cet aspect d’universalité. Tous veulent atteindre à la fois quelque chose chez tous les peuples et chez tous les hommes, soit pour édifier, soit pour détruire. La révolution n’anéantit les individus que pour l’idée qu’ils représentent. On vient de le voir pour Louis XVI ; cela n’est pas moins vrai pour les prêtres et pour les nobles. La massue de septembre écrase la superstition, la guillotine tue la noblesse.

« Jamais rien de local, jamais rien de personnel, dans l’intention du moins. Marat est de bronze, Robespierre est de marbre. L’un est la haine, l’autre est l’envie. Ni l’un ni l’autre ne sont des êtres humains. Ce sont des passions vivantes et faites chair, mais n’ayant ni cœur ni entrailles ; ce sont des esprits terribles qui offrent des exemples aux nations.