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RELIQUAT DES MISÉRABLES.

Pour utiliser ces feuillets qui résumaient ses opinions passées, Victor Hugo en fit guillemeter chaque alinéa en 1860, attribuant ainsi aux «théoriciens de la demi-révolution de 1830 », sous forme de citations, le plaidoyer personnel qu’il avait écrit en 1848. Au milieu du manuscrit, les guillemets, les atténuations même cessent brusquement : Victor Hugo a renoncé définitivement à adapter aux Misérables ce réquisitoire contre la République. Il semble qu’alors il ait pensé à le publier séparément en le présentant au lecteur comme une étude prise sur le vif, écrite au jour le jour, peu après 1830. Voici ce qui justifie cette supposition :

Victor Hugo cite, dans un ajouté en marge, le temps écoulé entre la promulgation des Droits de l’Homme et le moment où il écrit :

Pour qui relit après cinquante-cinq années écoulées

Ceci au moment où ce fragment devait faire partie des Misérables, en 1848, Plus tard Victor Hugo raye le nombre cinquante-cinq et le remplace par : ces trente-sept années.

Cette modification attribuait le texte à l’année 1830.


[II]


En 1830, Charles X tombé, une sorte d’acclamation née de ce grand instinct et de ce grand bon sens que la nécessité développe au cœur des peuples poussa au trône le chef de la famille d’Orléans. Les maisons royales ressemblent à ces figuiers de l’Inde dont chaque rameau en se courbant jusqu’à terre y prend racine et devient un figuier. Chaque branche peut devenir une dynastie. À la seule condition de se courber jusqu’au peuple.

De quelque façon qu’on le considère, Louis-Philippe d’Orléans fut un grand choix du sort. Prince remarquable, homme rare ; préparé à la couronne par les vicissitudes, par l’exil, par l’infortune, même par la misère ; portant la triple empreinte de la vieille race royale qui l’avait produit, de la république révolutionnaire qui l’avait éprouvé, et de la bourgeoisie qui le couronnait. L’heure où l’histoire parle avec son accent vénérable et libre n’a pas sonné pour le roi Louis-Philippe. Le penseur réserve son jugement, salue et passe.

Une fois le serment prêté par le roi à la nation et par la nation au roi, auguste échange de paroles, frisson de deux cœurs qui n’en doivent plus faire qu’un, le pouvoir se constitua. La résistance naquit le lendemain. Peut-être même était-elle née la veille[1].

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Les partis donc commencèrent sur-le-champ à taire la vie dure au gouvernement de juillet. Il dut, né d’hier, combattre aujourd’hui.

De tous les partis qui se dressaient en face du pouvoir nouveau, le parti républicain[2] était le plus redoutable, parce qu’il s’appuyait sur une certaine logique fière qui est ce qu’il y a de plus vivace et de plus profond dans l’homme.

  1. Le texte continue, presque identique le reste à la version publiée, jusqu’à : Les erreurs sont d’excellents projectiles. (Voir page 20.)
  2. À partir d’ici nous ne possédons que deux feuillets originaux sur quatorze dont se compose la seconde partie du Reliquat. Pour le reste nous n’avons qu’une copie, corrigée et quelquefois augmentée en marge par Victor Hugo, annotée au crayon souvent. Nous décrirons au fur et à mesure les particularités de ce fragment du Reliquat.