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RELIQUAT DES MISÉRABLES.

Nous avons divisé la partie politique de ce Reliquat en cinq fragments formés par cinq petits dossiers, se rapportant tous au livre : Quelques pages d’histoire.

Le premier dossier ne portait comme titre que cette date : 1831-1832. Nous y trouvons, tout à fait semblables aux premières pages du livre I (ive partie) deux feuillets, l’un bleu, l’autre blanc, qui paraissent faire partie d’un autre début de ce même livre ; Victor Hugo y met en scène des personnages passés sous silence dans le texte publié, et nous montre l’attitude du parti républicain en face du gouvernement de juillet.


[I]


Le pouvoir fondé en août 1830 était donc en présence de deux faits : au dehors l’Europe défiante, au dedans la nation inquiète. On entendait gronder sourdement les masses, remuées à la fois par le travail extérieur des partis et par le travail intérieur des systèmes, double action qui mène les colères jusqu’à l’émeute et les réformes jusqu’aux révolutions. Situation compliquée et grave qui s’offrait comme une énigme à la tristesse des penseurs.

La royauté tombée laissait derrière elle, comme un temple écroulé qui laisse deux colonnes, deux hommes imposants qui l’avaient soutenue, deux personnages majestueux qui tous deux l’avaient fidèlement et sévèrement aimée, et qui représentaient aux yeux des générations nouvelles, avec une sorte de grandeur idéale, l’un le chevalier, l’autre le bourgeois de l’ancien régime : M. de Chateaubriand et M. Royer-Collard.

La révolution de juillet, cette nouveauté où entrait la France, apparut à ces deux grands vieillards comme la pente profonde et sombre de l’inconnu. Pente fatale avec l’imprévu pour précipice. M. de Chateaubriand s’arrêta court ; M. Royer-Collard conduisit la patrie quelques pas plus loin.

C’était l’ombre en effet qu’on avait devant soi. Il était impossible de reculer. Il n’y avait que deux partis à prendre : s’y précipiter ou y avancer à tâtons. Les prudents disaient :

— Doucement. Il importe d’abord de rassurer l’Europe. L’Europe est accoutumée à voir la France passer d’une révolution à la guerre. Détrompons les rois en ne bougeant pas.

Sans doute le but de la France au dix-neuvième siècle, c’est l’affermissement national, c’est l’établissement continental des grandes idées que la révolution française a dégagées. Ces idées doivent être en Europe comme dans leur cité, en France comme dans leur forteresse.

De là, elles rayonneront sur le monde.

Aujourd’hui on les appelle les idées françaises, dans cent ans on les appellera les idées européennes. Oui, c’est là ce qu’aucune couronne ne doit méconnaître, ce qu’aucune couronne ne doit oublier, en Europe elles sont chez elles. Elles sont là où est la sociabilité humaine. Mais elles n’ont besoin pour vaincre que de la paix et du temps. La guerre avec ses chances peut leur être mauvaise et les retarder. Ce qu’il leur faut, c’est qu’on ne les trouble pas. Pour cela il suffit de faire remarquer aux cabinets européens qu’elles contiennent autant de dangers que de bienfaits ;