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LES MISÉRABLES. — L’IDYLLE RUE PLUMET.
Amour, quand, dans l’ombre où tu brilles,
Tu coiffes de roses Lola,
Je me damnerais pour cela.

    Où vont les belles filles,
          Lon la.

Jeanne, à ton miroir tu t’habilles !
Mon cœur un beau jour s’envola ;
Je crois que c’est Jeanne qui l’a.

    Où vont les belles filles,
          Lon la.

Le soir, en sortant des quadrilles,
Je montre aux étoiles Stella
Et je leur dis : regardez-la.

    Où vont les belles filles,
          Lon la.

Gavroche, tout en chantant, prodiguait la pantomime. Le geste est le point d’appui du refrain. Son visage, inépuisable répertoire de masques, faisait des grimaces plus convulsives et plus fantasques que les bouches d’un linge troué dans un grand vent. Malheureusement, comme il était seul et dans la nuit, cela n’était ni vu, ni visible. Il y a de ces richesses perdues.

Soudain il s’arrêta court.

— Interrompons la romance, dit-il.

Sa prunelle féline venait de distinguer dans le renfoncement d’une porte cochère ce qu’on appelle en peinture un ensemble ; c’est-à-dire un être et une chose ; la chose était une charrette à bras, l’être était un auvergnat qui dormait dedans.

Les bras de la charrette s’appuyaient sur le pavé et la tête de l’auvergnat s’appuyait sur le tablier de la charrette. Son corps se pelotonnait sur ce plan incliné et ses pieds touchaient la terre.

Gavroche, avec son expérience des choses de ce monde, reconnut un ivrogne.

C’était quelque commissionnaire du coin qui avait trop bu et qui dormait trop.

— Voilà, pensa Gavroche, à quoi servent les nuits d’été. L’auvergnat s’endort dans sa charrette. On prend la charrette pour la république et on laisse l’auvergnat à la monarchie.

Son esprit venait d’être illuminé par la clarté que voici :

— Cette charrette ferait joliment bien sur notre barricade.