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LES MISÉRABLES. — L’IDYLLE RUE PLUMET.

l’ouvrit, et écrivit avec le même crayon sur la première page ces quatre lignes :

« Je m’appelle Marius Pontmercy. Porter mon cadavre chez mon grand-père, M. Gillenormand, rue des Filles-du-Calvaire, n° 6, au Marais. »

Il remit le portefeuille dans la poche de son habit, puis il appela Gavroche. Le gamin, à la voix de Marius, accourut avec sa mine joyeuse et dévouée.

— Veux-tu faire quelque chose pour moi ?

— Tout, dit Gavroche. Dieu du bon Dieu ! sans vous, vrai, j’étais cuit.

— Tu vois bien cette lettre ?

— Oui.

— Prends-la. Sors de la barricade sur-le-champ (Gavroche, inquiet, commença à se gratter l’oreille), et demain matin tu la remettras à son adresse, à mademoiselle Cosette, chez M. Fauchelevent, rue de THomme-Armé, n° 7.

L’héroïque enfant répondit :

— Ah bien mais ! pendant ce temps-là, on prendra la barricade, et je n’y serai pas.

— La barricade ne sera plus attaquée qu’au point du jour selon toute apparence et ne sera pas prise avant demain midi.

Le nouveau répit que les assaillants laissaient à la barricade se prolongeait en effet C’était une de ces intermittences, fréquentes dans les combats nocturnes, qui sont toujours suivies d’un redoublement d’acharnement.

— Eh bien, fit Gavroche, si j’allais porter votre lettre demain matin ?

— Il sera trop tard. La barricade sera probablement bloquée, toutes les rues seront gardées, et tu ne pourras sortir. Va tout de suite.

Gavroche ne trouva rien à répliquer, il restait là, indécis, et se grattant l’oreille tristement. Tout à coup, avec un de ces mouvements d’oiseau qu’il avait, il prit la lettre.

— C’est bon, dit-il.

Et il partit en courant par la ruelle Mondétour.

Gavroche avait eu une idée qui l’avait déterminé, mais qu’il n’avait pas dite, de peur que Marius n’y fît quelque objection.

Cette idée, la voici :

— Il est à peine minuit, la rue de l’Homme-Armé n’est pas loin, je vais porter la lettre tout de suite, et je serai revenu à temps.