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LE DRAPEAU. — PREMIER ACTE.

Un éclair empourpra toutes les façades de la rue comme si la porte d’une fournaise s’ouvrait et se fermait brusquement. Une effroyable détonation éclata sur la barricade. Le drapeau rouge tomba. La décharge avait été si violente et si dense qu’elle en avait coupé la hampe ; c’est-à-dire la pointe même du timon de l’omnibus. Des balles, qui avaient ricoché sur les corniches des maisons, pénétrèrent dans la barricade et blessèrent plusieurs hommes.

L’impression de cette première décharge fut glaçante. L’attaque était rude, et de nature à faire songer les plus hardis. Il était évident qu’on avait au moins affaire à un régiment tout entier.

— Camarades, cria Courfeyrac, ne perdons pas la poudre. Attendons pour riposter qu’ils soient engagés dans la rue.

— Et, avant tout, dit Enjolras, relevons le drapeau !

Il ramassa le drapeau qui était précisément tombé à ses pieds. On entendait au dehors le choc des baguettes dans les fusils ; la troupe rechargeait les armes.

Enjolras reprit :

— Qui est-ce qui a du cœur ici ? qui est-ce qui replante le drapeau sur la barricade ?

Pas un ne répondit. Monter sur la barricade au moment où sans doute elle était couchée en joue de nouveau, c’était simplement la mort. Le plus brave hésite à se condamner. Enjolras lui-même avait un frémissement.

Il répéta :

— Personne ne se présente ?