Un omnibus qui avait deux chevaux blancs passa au bout de la rue. Bossuet enjamba les pavés, courut, arrêta le cocher, fit descendre les voyageurs, donna la main « aux dames », congédia le conducteur et revint ramenant voiture et chevaux par la bride.
— Les omnibus, dit-il, ne passent pas devant Corinthe. Non licet omnibus adire Corinthum.
Un instant après, les chevaux dételés s’en allaient au hasard par la rue Mondétour, et l’omnibus couché sur le flanc complétait le barrage de la rue.
Mame Hucheloup, bouleversée, s’était réfugiée au premier étage.
Elle avait l’œil vague et regardait sans voir, criant tout bas. Ses cris épouvantés n’osaient sortir de son gosier.
— C’est la fin du monde, murmurait-elle.
Joly déposait un baiser sur le gros cou rouge et ridé de mame Hucheloup et disait à Grantaire : — Mon cher, j’ai toujours considéré le cou d’une femme comme une chose infiniment délicate.
Mais Grantaire atteignait les plus hautes régions du dithyrambe. Matelote étant remontée au premier, Grantaire l’avait saisie par la taille et poussait à la fenêtre de longs éclats de rire.
— Matelote est laide ! criait-il, Matelote est la laideur rêve ! Matelote est une chimère. Voici le secret de sa naissance : un pygmalion gothique qui faisait des gargouilles de cathédrales tomba un beau matin amoureux de l’une d’elles, la plus horrible. Il supplia l’amour de l’animer, et cela fît Matelote. Regardez-la, citoyens ! elle a les cheveux couleur chromate de plomb comme la maîtresse du Titien, et c’est une bonne fille. Je vous réponds qu’elle se battra bien. Toute bonne fille contient un héros. Quant à la mère Hucheloup, c’est une vieille brave. Voyez les moustaches qu’elle a ! elle les a héritées de son mari. Une housarde, quoi ! Elle se battra aussi. À elles deux elles feront peur à la banlieue. Camarades, nous renverserons le gouvernement, vrai comme il est vrai qu’il existe quinze acides intermédiaires entre l’acide margarique et l’acide formique. Du reste cela m’est parfaitement égal. Messieurs, mon père m’a toujours détesté parce que je ne pouvais comprendre les mathématiques. Je ne comprends que l’amour et la liberté. Je suis Grantaire le bon enfant ! N’ayant jamais eu d’argent, je n’en ai pas pris l’habitude, ce qui fait que je n’en ai jamais manqué} mais si j’avais été riche, il n’y aurait plus eu de pauvres ! on aurait vu ! Oh ! si les bons cœurs avaient les grosses bourses ! comme tout irait mieux ! Je me figure Jésus-Christ avec la fortune de Rothschild ! Que de bien il ferait ! Matelote, embrassez-moi ! Vous êtes voluptueuse et timide ! vous avez des joues qui appellent le baiser d’une sœur, et des lèvres qui réclament le baiser d’un amant !
— Tais-toi, futaille ! dit Courfeyrac.