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LES MISÉRABLES. — L’IDYLLE RUE PLUMET.


noir, une touffe d’ortie au pied du mur était poudrée de fin plâtre frais. Cela probablement avait été écrit là dans la nuit. Qu’était-ce ? une adresse ? un signal pour d’autres ? un avertissement pour lui ? Dans tous les cas, il était évident que le jardin était violé, et que des inconnus y pénétraient. Il se rappela les incidents bizarres qui avaient déjà alarmé la maison. Son esprit travailla sur ce canevas. Il se garda bien de parler à Cosette de la ligne écrite au clou sur le mur, de peur de l’effrayer.

Tout cela considéré et pesé, Jean Valjean s’était décidé à quitter Paris, et même la France, et à passer en Angleterre. Il avait prévenu Cosette. Avant huit jours il voulait être parti. Il s’était assis sur le talus du Champ de Mars, roulant dans son esprit toutes sortes de pensées, Thénardier, la police, cette ligne étrange écrite sur le mur, ce voyage, et la difficulté de se procurer un passeport.

Au milieu de ces préoccupations, il s’aperçut, à une ombre que le soleil projetait, que quelqu’un venait de s’arrêter sur la crête du talus immédiatement derrière lui. Il allait se retourner, lorsqu’un papier plié en quatre tomba sur ses genoux, comme si une main l’eût lâché au-dessus de sa tête. Il prit le papier, le déplia, et y lut ce mot écrit en grosses lettres au crayon :

Déménagez.

Jean Valjean se leva vivement, il n’y avait plus personne sur le talus ; il chercha autour de lui et aperçut une espèce d’être plus grand qu’un enfant, plus petit qu’un homme, vêtu d’une blouse grise et d’un pantalon de velours de coton couleur poussière, qui enjambait le parapet et se laissait glisser dans le fossé du Champ de Mars.

Jean Valjean rentra chez lui sur-le-champ, tout pensif.