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LES MISÉRABLES. — L’IDYLLE RUE PLUMET.

péfait. Le genre humain montant, les couches profondes sortiront tout naturellement de la zone de détresse. L’effacement de la misère se fera par une simple élévation de niveau.

Cette solution bénie, on aurait tort d’en douter.

Le passé, il est vrai, est très fort à l’heure où nous sommes. Il reprend. Ce rajeunissement d’un cadavre est surprenant. Le voici qui marche et qui vient. Il semble vainqueur ; ce mort est un conquérant. Il arrive avec sa légion, les superstitions, avec son épée, le despotisme, avec son drapeau, l’ignorance ; depuis quelque temps il a gagné dix batailles. Il avance, il menace, il rit, il est à nos portes. Quant à nous, ne désespérons pas. Vendons le champ où campe Annibal.

Nous qui croyons, que pouvons-nous craindre ?

Il n’y a pas plus de reculs d’idées que de reculs de fleuves.

Mais que ceux qui ne veulent pas de l’avenir y réfléchissent. En disant non au progrès, ce n’est point l’avenir qu’ils condamnent, c’est eux-mêmes. Ils se donnent une maladie sombre ; ils s’inoculent le passé. Il n’y a qu’une manière de refuser Demain, c’est de mourir.

Or, aucune mort, celle du corps le plus tard possible, celle de l’âme jamais, c’est là ce que nous voulons.

Oui, l’énigme dira son mot, le sphinx parlera, le problème sera résolu. Oui, le Peuple, ébauché par le dix-huitième siècle, sera achevé par le dix-neuvième. Idiot qui en douterait ! L’éclosion future, l’éclosion prochaine du bien-être universel, est un phénomène divinement fatal.

D’immenses poussées d’ensemble régissent les faits humains et les amènent tous dans un temps donné à l’état logique, c’est-à-dire à l’équilibre, c’est-à-dire à l’équité. Une force composée de terre et de ciel résulte de l’humanité et la gouverne ; cette force-là est une faiseuse de miracles ; les dénoûments merveilleux ne lui sont pas plus difficiles que les péripéties extraordinaires. Aidée de la science qui vient de l’homme et de l’événement qui vient d’un autre, elle s’épouvante peu de ces contradictions dans la pose des problèmes, qui semblent au vulgaire impossibilités. Elle n’est pas moins habile à faire jaillir une solution du rapprochement des idées qu’un enseignement du rapprochement des faits ; et l’on peut s’attendre à tout de la part de cette mystérieuse puissance du progrès qui, un beau jour, confronte l’orient et l’occident au fond d’un sépulcre et fait dialoguer les imans avec Bonaparte dans l’intérieur de la grande pyramide.

En attendant, pas de halte, pas d’hésitation, pas de temps d’arrêt dans la grandiose marche en avant des esprits. La philosophie sociale est essentiellement la science de la paix. Elle a pour but et doit avoir pour résultat de dissoudre les colères par l’étude des antagonismes. Elle examine, elle scrute.