Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome V.djvu/159

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
147
LES PÉRIPÉTIES DE L’ÉVASION.

ceau attaché à la cheminée sur le toit. Ils n’avaient du reste d’autre avarie que de s’être à peu près entièrement enlevé la peau des mains.

Cette nuit-là, Thénardier était prévenu, sans qu’on ait pu éclaircir de quelle façon, et ne dormait pas.

Vers une heure du matin, la nuit étant très noire, il vit passer sur le toit, dans la pluie et dans la bourrasque, devant la lucarne qui était vis-à-vis de sa cage, deux ombres. L’une s’arrêta à la lucarne le temps d’un regard. C’était Brujon. Thénardier le reconnut, et comprit. Cela lui suffit.

Thénardier, signalé comme escarpe et détenu sous prévention de guet-apens nocturne à main armée, était gardé à vue. Un factionnaire, qu’on relevait de deux heures en deux heures, se promenait le fusil chargé devant sa cage. Le Bel-Air était éclairé par une applique. Le prisonnier avait aux pieds une paire de fers du poids de cinquante livres. Tous les jours à quatre heures de l’après-midi, un gardien escorté de deux dogues, — cela se faisait encore ainsi à cette époque, — entrait dans sa cage, déposait près de son lit un pain noir de deux livres, une cruche d’eau et une écuelle pleine d’un bouillon assez maigre où nageaient quelques gourganes, visitait ses fers et frappait sur les barreaux. Cet homme avec ses dogues revenait deux fois dans la nuit.

Thénardier avait obtenu la permission de conserver une espèce de cheville en fer dont il se servait pour clouer son pain dans une fente de la muraille, « afin, disait-il, de le préserver des rats ». Comme on gardait Thénardier à vue, on n’avait point trouvé d’inconvénient à cette cheville. Cependant on se souvint plus tard qu’un gardien avait dit : — Il vaudrait mieux ne lui laisser qu’une cheville en bois.

À deux heures du matin on vint changer le factionnaire qui était un vieux soldat, et on le remplaça par un conscrit. Quelques instants après, l’homme aux chiens fit sa visite, et s’en alla sans avoir rien remarqué, si ce n’est la trop grande jeunesse et « l’air paysan » du « tourlourou ». Deux heures après, à quatre heures, quand on vint relever le conscrit, on le trouva endormi et tombé à terre comme un bloc près de la cage de Thénardier. Quant à Thénardier, il n’y était plus. Ses fers brisés étaient sur le carreau. Il y avait un trou au plafond de sa cage, et, au-dessus, un autre trou dans le toit. Une planche de son lit avait été arrachée et sans doute emportée, car on ne la retrouva point. On saisit aussi dans la cellule une bouteille à moitié vidée qui contenait le reste du vin stupéfiant avec lequel le soldat avait été endormi. La bayonnette du soldat avait disparu.

Au moment où ceci fut découvert, on crut Thénardier hors de toute atteinte. La réalité est qu’il n’était plus dans le Bâtiment-Neuf, mais qu’il était encore fort en danger. Son évasion n’était point consommée.

Thénardier, en arrivant sur le toit du Bâtiment-Neuf, avait trouvé le