Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome V.djvu/126

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
114
LES MISÉRABLES. — L’IDYLLE RUE PLUMET.

Vous qui souffrez parce que vous aimez, aimez plus encore. Mourir d’amour, c’est en vivre.




Aimez. Une sombre transfiguration étoilée est mêlée à ce supplice. Il y a de l’extase dans l’agonie.




Ô joie des oiseaux ! c’est parce qu’ils ont le nid qu’ils ont le chant.




L’amour est une respiration céleste de l’air du paradis.




Cœurs profonds, esprits sages, prenez la vie comme Dieu la fait. C’est une longue épreuve, une préparation inintelligible à la destinée inconnue. Cette destinée, la vraie, commence pour l’homme à la première marche de l’intérieur du tombeau. Alors il lui apparaît quelque chose, et il commence à distinguer le définitif. Le définitif, songez à ce mot. Les vivants voient l’infini 5 le définitif ne se laisse voir qu’aux morts. En attendant, aimez et souffrez, espérez et contemplez. Malheur, hélas ! à qui n’aura aimé que des corps, des formes, des apparences ! La mort lui ôtera tout. Tâchez d’aimer des âmes, vous les retrouverez.




J’ai rencontré dans la rue un jeune homme très pauvre qui aimait. Son chapeau était vieux, son habit était usé ; il avait les coudes troués ; l’eau passait à travers ses souliers et les astres à travers son âme.




Quelle grande chose, être aimé ! Quelle chose plus grande encore, aimer ! Le cœur devient héroïque à force de passion. Il ne se compose plus de rien que de pur ; il ne s’appuie plus sur rien que d’élevé et de grand. Une pensée indigne n’y peut pas plus germer qu’une ortie sur un glacier. L’âme haute et sereine, inaccessible aux passions et aux émotions vulgaires, dominant les nuées et les ombres de ce monde, les folies, les mensonges, les haines, les vanités, les misères, habite le bleu du ciel, et ne sent plus que les ébranlements profonds et souterrains de la destinée, comme le haut des montagnes sent les tremblements de terre.




S’il n’y avait pas quelqu’un qui aime, le soleil s’éteindrait.