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LA MÈRE PLUTARQUE…

— Le propriétaire n’est pas content.

— Pourquoi ?

— On lui doit trois termes.

— Dans trois mois on lui en devra quatre.

— Il dit qu’il vous enverra coucher dehors.

— J’irai.

— La fruitière veut qu’on la paye. Elle ne lâche plus ses falourdes. Avec quoi vous chaufferez-vous cet hiver ? Nous n’aurons point de bois.

— Il y a le soleil.

— Le boucher refuse crédit, il ne veut plus donner de viande.

— Cela se trouve bien. Je digère mal la viande. C’est lourd.

— Qu’est-ce qu’on aura pour dîner ?

— Du pain.

— Le boulanger exige un acompte, et dit que pas d’argent, pas de pain.

— C’est bon.

— Qu’est-ce que vous mangerez ?

— Nous avons les pommes du pommier.

— Mais, monsieur, on ne peut pourtant pas vivre comme ça sans argent.

— Je n’en ai pas.

La vieille s’en alla, le vieillard resta seul. Il se mit à songer. Gavroche songeait de son côté. Il faisait presque nuit.

Le premier résultat de la songerie de Gavroche, ce fut qu’au lieu d’escalader la haie, il s’accroupit dessous. Les branches s’écartaient un peu au bas de la broussaille.

— Tiens, s’écria intérieurement Gavroche, une alcôve ! et il s’y blottit.

Il était presque adossé au banc du père Mabeuf. Il entendait l’octogénaire respirer.

Alors, pour dîner, il tâcha de dormir.

Sommeil de chat, sommeil d’un œil. Tout en s’assoupissant, Gavroche guettait.

La blancheur du ciel crépusculaire blanchissait la terre, et la ruelle faisait une ligne livide entre deux rangées de buissons obscurs.

Tout à coup, sur cette bande blanchâtre deux silhouettes parurent. L’une venait devant, l’autre, à quelque distance, derrière.

— Voilà deux êtres, grommela Gavroche.

La première silhouette semblait quelque vieux bourgeois courbé et pensif, vêtu plus que simplement, marchant lentement à cause de l’âge, et flânant le soir aux étoiles.