Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IX.djvu/97

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le marquis éprouva quelque chose de pareil à ce que devait ressentir un de ces êtres quand, s’attendant à être traité comme un monstre, il était brusquement traité comme un dieu.

Tous ces yeux pleins d’éclairs redoutables se fixaient sur le marquis avec une sorte de sauvage amour.

Cette cohue était armée de fusils, de sabres, de faulx, de pioches, de bâtons ; tous avaient de grands feutres ou des bonnets bruns, avec des cocardes blanches, une profusion de rosaires et d’amulettes, de larges culottes ouvertes au genou, des casaques de poil, des guêtres en cuir, le jarret nu, les cheveux longs, quelques-uns l’air féroce, tous l’œil naïf.

Un homme, jeune et de belle mine, traversa les gens agenouillés et monta à grands pas vers le marquis. Cet homme était, comme les paysans, coiffé d’un feutre à bord relevé et à cocarde blanche, et vêtu d’une casaque de poil, mais il avait les mains blanches et une chemise fine, et il portait par-dessus sa veste une écharpe de soie blanche à laquelle pendait une épée à poignée dorée.

Parvenu sur la hure, il jeta son chapeau, détacha son écharpe, mit un genou en terre, présenta au marquis l’écharpe et l’épée, et dit :

— Nous vous cherchions en effet, nous vous avons trouvé. Voici l’épée de commandement. Ces hommes sont maintenant à vous. J’étais leur commandant, je monte en grade, je suis votre soldat. Acceptez notre hommage, monseigneur. Donnez vos ordres, mon général.

Puis il fit un signe, et des hommes qui portaient un drapeau tricolore sortirent du bois. Ces hommes montèrent jusqu’au marquis et déposèrent le drapeau à ses pieds. C’était le drapeau qu’il venait d’entrevoir à travers les arbres.

— Mon général, dit le jeune homme qui lui avait présenté l’épée et l’écharpe, ceci est le drapeau que nous venons de prendre aux bleus qui étaient dans la ferme d’Herbe-en-Pail. Monseigneur, je m’appelle Gavard. J’ai été au marquis de La Rouarie.

— C’est bien, dit le marquis.

Et, calme et grave, il ceignit l’écharpe.

Puis il tira l’épée, et l’agitant nue au-dessus de sa tête :

— Debout ! dit-il, et vive le roi !

Tous se levèrent.

Et l’on entendit dans les profondeurs du bois une clameur éperdue et triomphante : Vive le roi ! Vive notre marquis ! Vive Lantenac !

Le marquis se tourna vers Gavard.

— Combien donc êtes-vous ?

— Sept mille.