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par où l’on entrait et qui servait de porte donnait quelque clarté. La nuit était venue, mais le regard se proportionne à la lumière, et l’on finit par trouver toujours un peu de jour dans l’ombre. Un reflet du clair de lune blanchissait vaguement l’entrée. Il y avait dans un coin une cruche d’eau, une galette de sarrasin et des châtaignes.

— Soupons, dit le pauvre.

Ils se partagèrent les châtaignes ; le marquis donna son morceau de biscuit ; ils mordirent à la même miche de blé noir et burent à la cruche l’un après l’autre.

Ils causèrent.

Le marquis se mit à interroger cet homme.

— Ainsi, tout ce qui arrive ou rien, c’est pour vous la même chose ?

— À peu près. Vous êtes des seigneurs, vous autres. Ce sont vos affaires.

— Mais enfin, ce qui se passe…

— Ça se passe là-haut.

Le mendiant ajouta :

— Et puis il y a des choses qui se passent encore plus haut, le soleil qui se lève, la lune qui augmente ou diminue, c’est de celles-là que je m’occupe.

Il but une gorgée à la cruche et dit :

— La bonne eau fraîche !

Et il reprit :

— Comment trouvez-vous cette eau, monseigneur ?

— Comment vous appelez-vous ? dit le marquis.

— Je m’appelle Tellmarch, et l’on m’appelle le Caimand.

— Je sais. Caimand est un mot du pays.

— Qui veut dire mendiant. On me surnomme aussi le Vieux.

Il poursuivit :

— Voilà quarante ans qu’on m’appelle le Vieux.

— Quarante ans ! mais vous étiez jeune ?

— Je n’ai jamais été jeune. Vous l’êtes toujours, vous, monsieur le marquis. Vous avez des jambes de vingt ans, vous escaladez la grande dune ; moi, je commence à ne plus marcher ; au bout d’un quart de lieue je suis las. Nous sommes pourtant du même âge ; mais les riches, ça a sur nous un avantage, c’est que ça mange tous les jours. Manger conserve.

Le mendiant, après un silence, continua :

— Les pauvres, les riches, c’est une terrible affaire. C’est ce qui produit les catastrophes. Du moins, ça me fait cet effet-là. Les pauvres veulent être riches, les riches ne veulent pas être pauvres. Je crois que c’est un peu là le fond. Je ne m’en mêle pas. Les événements sont les événements. Je ne suis ni pour le créancier, ni pour le débiteur. Je sais qu’il y a une dette et qu’on