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barres soudées au martinet. Les cigales des ancres sont solides. Câbles excellents, faciles à débiter, ayant la longueur d’ordonnance, cent vingt brasses. Force munitions. Six canonniers morts. Cent soixante et onze coups à tirer par pièce.

— Parce qu’il n’y a plus que neuf pièces, murmura le capitaine.

Boisberthelot braqua sa longue-vue sur l’horizon. La lente approche de l’escadre continuait.

Les caronades ont un avantage, trois hommes suffisent pour les manœuvrer ; mais elles ont un inconvénient, elles portent moins loin et tirent moins juste que les canons. Il fallait donc laisser arriver l’escadre à portée de caronade.

Le capitaine donna ses ordres à voix basse. Le silence se fit dans le navire. On ne sonna point le branle-bas, mais on l’exécuta. La corvette était aussi hors de combat contre les hommes que contre les flots. On tira tout le parti possible de ce reste d’un navire de guerre. On accumula près des drosses, sur le passavant, tout ce qu’il y avait d’aussières et de grelins de rechange pour raffermir au besoin la mâture. On mit en ordre le poste des blessés. Selon la mode navale d’alors, on bastingua le pont, ce qui est une garantie contre les balles, mais non contre les boulets. On apporta les passe-balles, bien qu’il fût un peu tard pour vérifier les calibres ; mais on n’avait pas prévu tant d’incidents. Chaque matelot reçut une giberne et mit dans sa ceinture une paire de pistolets et un poignard. On plia les branles ; on pointa l’artillerie ; on prépara la mousqueterie ; on disposa les haches et les grappins ; on tint prêtes les soutes à gargousses et les soutes à boulets ; on ouvrit la soute aux poudres. Chaque homme prit son poste. Tout cela sans dire une parole et comme dans la chambre d’un mourant. Ce fut rapide et lugubre.

Puis on embossa la corvette. Elle avait six ancres comme une frégate. On les mouilla toutes les six ; l’ancre de veille à l’avant, l’ancre de toue à l’arrière, l’ancre de flot du côté du large, l’ancre de jusant du côté des brisants, l’ancre d’affourche à tribord et la maîtresse-ancre à bâbord.

Les neuf caronades qui restaient vivantes furent mises en batterie toutes les neuf d’un seul côté, du côté de l’ennemi.

L’escadre, non moins silencieuse, avait, elle aussi, complété sa manœuvre. Les huit bâtiments formaient maintenant un demi-cercle dont les Minquiers faisaient la corde. La Claymore, enfermée dans ce demi-cercle, et d’ailleurs garrottée par ses propres ancres, était adossée à l’écueil, c’est-à-dire au naufrage.

C’était comme une meute autour d’un sanglier, ne donnant pas de voix, mais montrant les dents.