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prestige du mystère, semblait avoir quelque chose de magique. Il suffisait de le prononcer pour calmer les craintes, ranimer l’espoir, réveiller le courage. Toutefois, le personnage que l’on désignait ainsi n’avait fait que se laisser voir et ne se laissait pas connaître.

Le portrait, longuement tracé, est fort curieux. Ce Jacques s’appelait La Mérozières ; il avait pris un surnom pour ne pas compromettre sa famille ; aux pages 280-284 est le récit de sa mort dans le souterrain de Juvardeil.

La querelle de Jambe-d’Argent et de Morière est racontée dans les Lettres, tome I, page 305 : après une bataille, Morière éleva la voix :

« Sais-tu bien, Jambe-d’Argent, qu’on nous avait dit que tu étais le brave des braves, et que tu ne reculais jamais, et voilà qu’aujourd’hui on prétend ne t’avoir vu faire que des pas en arrière ? » Jambe-d’Argent dédaigna de se justifier, et contenant son indignation : « Vante-toi, si tu veux, Morière, lui dit-il, d’avoir été ce jour-ci plus brave que Jambe-d’Argent, car tu n’auras pas une seconde fois à t’en vanter. » — « Eh bien, reprit Morière, c’est ce qu’il faudra voir, nous attendrons. » — « Tu n’attendras pas, je veux te le faire voir tout à l’heure », s’écria Jambe-d’Argent, en mettant le sabre à la main et s’avançant sur lui.

Victor Hugo ne fait qu’une allusion à cette querelle qu’il qualifie d’homérique.

Nous avons donné ces détails pour montrer avec quelle conscience Victor Hugo se documentait, se bornant à recueillir les indications, sans emprunter les récits qu’il trouvait dans les ouvrages mis à contribution. Il ne prenait que ce qui était utile à caractériser les personnages de son livre, que les grandes lignes du cadre dans lequel se développait son drame. Mais il ne s’attardait pas dans les détails historiques ; lorsqu’il reproduisait quelques-unes des atrocités de la guerre civile, on se plaisait à dire qu’il les exagérait ; or on les retrouverait dans les Mémoires du comte de Puisaye et dans les Lettres sur l’origine de la chouannerie. Quand il parle de Jean Chouan et quand il veut retracer un des angles de sa physionomie, il dit, dans le chapitre : Leur vie sous terre :

Tout le jour, dit Bourdoiseau, Jean Chouan nous faisait chapeletter.

Or à la page 218, tome I, des Lettres, il est dit :

On souffrait, mais avec résignation. Dans ces instants fâcheux, Jean Chouan occupait sa troupe à de longues prières, et en cela encore il donnait l’exemple. « Il nous faisait chapeletter tout le jour durant, m’ont dit ces bonnes gens, et cela nous ôtait les mauvaises pensées. »

Victor Hugo ajoute :

Il était presque impossible, la saison venue, d’empêcher ceux du Bas-Maine de sortir pour se rendre à la fête de la Gerbe.

À la page 127 du tome II des Lettres, il est dit :

Le vieux paysan, arrivé à ses derniers jours, s’estime heureux s’il peut se vanter que pas une seule fois, depuis qu’il est sur terre, il n’a manqué la fête de la Gerbe.

Il y a une description de cette fête qui termine le battage des grains ; la gerbe ornée de fleurs et de rubans est portée en triomphe escortée par la famille suivie d’un vanneur qui, ayant son van rempli de grains, les fait voler en l’air ; les batteurs ferment la marche ; le tour de l’aire étant fait, la gerbe est déliée, on tire quelques coups de fusils, on mange une miche de pure fleur de froment et on boit quelques bouteilles de vin.