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presser de publier quelque chose en 1864, mais Victor Hugo résiste, et il écrit à Lacroix :

H.-H., 15 mai [1864].

Mon cher monsieur Lacroix, j’hésite à publier cette année quoi que ce soit. J’aurai deux ouvrages terminés : ce roman[1] et les Chansons des rues et des bois. Mais je voudrais me mettre tout de suite à 93, et ces deux publications me prendraient, en correspondances et en corrections d’épreuves, cinq ou six mois, ce qui m’effraie. J’ai peu d’années devant moi et plusieurs grands livres à faire ou à finir. C’est ce qui me rend si avare de mon temps. Enfin, je songerai à ce que vous voulez bien me demander.

Victor Hugo céda pourtant aux sollicitations de Lacroix pour les Travailleurs de la mer et les Chansons des rues et des bois.

Dans une note[2] qui date du début de l’année 1866, Victor Hugo expose le plan suivant :

Sous ce titre : Études sociales, l’auteur commence une série. Un octogénaire plantait. Cette série, qui a aujourd’hui pour prélude l’Homme qui rit, c’est-à-dire l’Angleterre avant 1688 se continuera par la France avant 1789 et s’achèvera par 93.

Victor Hugo commençait à Bruxelles l’Homme qui rit, le 21 juillet 1866. Dans sa courte préface, il dit :

Le vrai titre de ce livre serait l’Aristocratie. Un autre livre qui suivra pourra être intitulé la Monarchie. Et ces deux livres, s’il est donné à l’auteur d’achever ce travail, en précéderont et en amèneront un autre qui sera intitulé : Quatrevingt-treize.

Ces lignes sont datées d’Hauteville-House, avril 1869.

Dans un projet de préface qui n’a pas été publié, Victor Hugo écrit :

L’histoire montre les faits, le roman montre les mœurs ; l’histoire montre l’organisme, le roman montre l’âme. Le roman, c’est le drame hors cadre.

L’Homme qui rit est une sorte d’avant-scène du livre Quatrevingt-treize que prépare l’auteur ; 93 est une résultante immense, la Révolution française est un fait produit par toute l’Europe.

L’Europe a deux pôles, la France et l’Angleterre.

L’auteur, dans ce livre, expose et tâche de faire visible l’Angleterre après 1688 ; plus tard, dans un autre livre spécial, il exposera la France avant 1789 ; puis 93 suivra.

H. H.

Les mots tâche de faire visible sont placés entre deux traits verticaux ; s’ils traduisaient sa pensée, ils lui paraissaient défectueux dans la forme et devaient être modifiés.

Ainsi donc, c’est en 1863 que nous trouvons pour la première fois, dans la correspondance, trace de Quatrevingt-treize. Au début de 1866 il arrêtait le plan d’une intrigue. C’est le 16 décembre 1872, à Hauteville-House, qu’il commence à écrire Quatrevingt-treize ; le 9 juin 1873, il l’achève.

Mais auparavant que de lectures, que de recherches, que de méditations ! car, en dépit de certaines affirmations, Victor Hugo se documentait, surtout lorsqu’il donnait à ses romans et à ses pièces un cadre historique. Pour Cromwell, pour Notre-Dame de Paris, pour Marie Tudor, pour l’Histoire d’un crime, pour l’Homme qui rit, pour d’autres œuvres encore, il a lu beaucoup de livres, fouillé des archives, consulté des chroniques, des chartes, des procès-verbaux. Il ne cherche pas à dissimuler les sources où il a puisé ses renseignements, il les indique dans des notes à la fin du livre ou au cours même de son récit ; il lui

  1. Les Travailleurs de la mer
  2. Historique de l’Homme qui rit.