Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IX.djvu/418

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le peuple portait dans ses entrailles ce fœtus, l’avenir, Robespierre était son précurseur. Il aima Robespierre comme le matin aime son étoile.

Le peuple qui suivait Danton, c’était la nation. Le peuple exprime une idée, la nation en exprime une autre. Tous deux, peuple et nation, ont la même âme, mais l’un représente cette âme au dedans, l’autre la représente au dehors ; cette âme se condense dans le peuple et rayonne dans la nation. C’est pourquoi Robespierre est la concentration, et Danton l’expansion. C’est pourquoi Robespierre s’émeut de la guerre civile et Danton de la guerre étrangère. Pitt et Cobourg résumaient leur double préoccupation. Danton faisait face à Cobourg, et Robespierre à Pitt.

Pitt inquiétait Robespierre ; ces deux hommes jeunes, gouvernant, l’un la France, l’autre l’Angleterre, interrompaient parfois, l’un son travail monarchique, l’autre son œuvre populaire, et se regardaient fixement. Robespierre était préoccupé de l’Angleterre, et Danton de l’Allemagne. Pour Danton, l’Europe était dans le camp prussien, pour Robespierre elle était dans le cabinet britannique. Ce que la coalition du continent fit sur Danton, le soulèvement de la Vendée le fit sur Robespierre. À la prise de Machecoul, l’étincelle jaillit de Robespierre comme, à la prise de Verdun, l’éclair avait jailli de Danton. Robespierre mit le doigt sur la Vendée, et dit : l’Angleterre est là. Il ne se trompait pas. Mais Danton de son côté avait raison d’être sinistre devant cette déclaration des monarchies : « Affamer Paris. Prendre Paris. Trier les habitants. Supplicier les révolutionnaires (écrit de la main du roi de Prusse). Envahir la France. Mettre le feu aux villes. Mieux vaut un désert qu’un peuple révolté (écrit de la main de l’empereur d’Allemagne). » C’est pourquoi, quand Robespierre disait au peuple : De la logique ! Danton criait à la nation : De l’audace !

Le peuple qui suivait Marat, c’était la populace.

La populace. Création difforme de la société. Fille sourde de cette mère aveugle. Lie de ce pressoir.

Tous les êtres frappés de la damnation sociale, toutes les faiblesses ayant sur leur chair une meurtrissure d’inégalité, toutes les misères d’invention humaine, c’est-à-dire d’autant plus réelles qu’elles sont factices, toutes les détresses crachées, vomies et revomies, bues et rebues par ce monstre qu’on appelait dans le passé la loi ; malades fouettés à l’entrée des hôpitaux parce qu’ils sont malades, vagabondages, plaies, mendicités, indigences châtiées, foule innombrable, innocents sortis de la chambre de torture absous et estropiés, soldats passés aux baguettes pour un pli à l’uniforme, femmes marquées V pour le maraudage d’une pomme, et W pour la récidive, filles tondues et faites de force prostituées pour un mot irrévérent à un exempt de police, délinquants ayant passé six mois liés par le cou debout jour et nuit les pieds dans la boue à la poutre basse du Châtelet, pères, mères, sœurs, frères, filles, femmes des braconniers accrochés au gibet pour une perdrix tuée, des faux-saulniers roués pour une livre de sel, des servantes suppliciées pour vol de cinq sous, des garçons de quinze ans envoyés aux galères pour chapeau gardé sur la tête au passage d’une procession, des prisonniers mitraillés en tas par les mousqueteries à travers les grilles des geôles, des enfants pendus sous les aisselles pour ce crime d’être